«La plupart des jeunes ont un niveau datant de l’an 2000. Et nous sommes, sauf erreur, en 2019»
Olivier Naray, responsable affaires publiques du Groupement romand de l’informatique
Lors de la dernière rentrée scolaire, le Département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse (DIP) se voulait ambitieux. Genève allait enfin mettre le paquet pour transformer les élèves en «citoyens numériques compétents». Au programme, 21 millions de francs d’investissement destinés aux classes du primaire et du secondaire. Deux mois plus tard, c’est déjà la soupe à la grimace selon Olivier Naray, responsable des affaires publiques du Groupement romand de l’informatique (GRI): «L’Etat et l’administration ne font que réagir aux pressions. Au lieu de faire surtout de la bureautique, les élèves devraient, par exemple, être sensibilisés à comprendre leurs droits par rapport à la protection des données.»
Xavier Comtesse, docteur en informatique de l’Université de Genève et ancien directeur du think tank Avenir Suisse, va encore plus loin: «Pour l’instant, on fait tout faux. Le système éducatif n’est pas du tout préparé à la déferlante de l’intelligence artificielle.» Avant d’ajouter: «Les politiciens vivent dans l’ancien monde, ils confondent informatique et numérique et ne comprennent rien à la quatrième révolution industrielle.»
Fausse route
Contactée pour répondre à ces critiques, la conseillère d’Etat en charge du DIP, Anne Emery-Torracinta, se contente d’une réponse laconique: «Nous vivons dans un monde déjà bouleversé par les technologies numériques. Nous aurons besoin de citoyens capables d’analyser ces enjeux et de se positionner de manière éclairée. C’est pourquoi l’école publique doit enseigner à coder et décoder. Voilà l’objectif du programme numérique à l’école.»
Nicolas Tavaglione, secrétaire général adjoint du DIP en charge de ces questions, opte quant à lui pour l’ironie: «En termes de design et d’ergonomie, le site internet du GRI semble remonter à 1999. Nous ne portons donc pas une attention particulière à leurs remarques. Le DIP entend enseigner les concepts fondamentaux de la science informatique, ces derniers remontent aux années 1950 et ont peu changé depuis.»
Une démarche qui fait bondir Xavier Comtesse: «Le numérique, c’est d’abord les données et les algorithmes, pas la programmation. Il faudrait donc enseigner les statistiques, les probabilités, les algorithmes, le machine learning et le traitement des données. Bref, tout un savoir que les professeurs n’ont pas forcément.»
Niveau de l’an 2000
Olivier Naray de GRI déplore également la formation insuffisante du corps enseignant: «Un enseignement amélioré de l’informatique et du numérique ne peut pas être mis en œuvre par des enseignants généralistes. Ces derniers doivent prendre deux ans pour se mettre à niveau en informatique en passant par la Haute école pédagogique. C’est long, bureaucratique et surtout irréaliste.» Plus inquiétant encore, les compétences seraient largement insuffisantes: «Nous avons fait une expérience pour mesurer l’alphabétisation numérique et informatique des élèves, poursuit Olivier Naray. La plupart de ces jeunes atteignent un score correspondant au niveau numérique de l’an 2000… et nous sommes, sauf erreur, en 2019.»
Nicolas Tavaglione s’en défend: «Les élèves maîtrisent de nombreux outils qui n’existaient pas en l’an 2000. Ce diagnostic est donc sans pertinence.» Pour Olivier Naray, améliorer l’enseignement du numérique à l’école doit obligatoirement passer par un dialogue entre le public et le privé: «Il faut encourager les échanges entre les écoles obligatoires et les entreprises. Les besoins des entreprises, notamment des PME locales, pourraient être mieux compris par les écoles si des ponts étaient bâtis entre les deux mondes.» On peut toujours rêver…