Sauvagement agressé: «Je me suis vu mourir!»

  • Pour une broutille, un épicier des Grottes a reçu treize coups de couteau l’été dernier en pleine rue.
  • Ce miraculé de 30 ans a perdu plus de 4 litres de sang. Les agresseurs sont prévenus de tentative de meurtre.
  • Le Dr Philip Jaffé explique pourquoi aujourd’hui les agressions sont de plus en plus violentes.

  • Ibrahim sur les lieux de l’agression.

    Ibrahim sur les lieux de l’agression.

  • Ci-dessous, dans son épicerie des Grottes avec son avocat Me Robert Assaël.

    Ci-dessous, dans son épicerie des Grottes avec son avocat Me Robert Assaël.

  • La victime montre ses terribles cicatrices. CHRISTIAN BONZON/DR

    La victime montre ses terribles cicatrices. CHRISTIAN BONZON/DR

  • La victime montre ses terribles cicatrices. CHRISTIAN BONZON/DR

    La victime montre ses terribles cicatrices. CHRISTIAN BONZON/DR

  • dr

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«C’était une attaque brutale, animale, sauvage»

Me Robert Assaël, défenseur de l’épicier Ibrahim

Ibrahim le sait: il est un «miraculé». Les médecins le lui ont dit, très clairement. A 37 ans, il revient de loin. Ce Kosovar établi à Genève depuis plusieurs années, gérant depuis quinze ans d’une épicerie proche de l’Ilôt 13, s’est fait sauvagement attaquer lors d’ une chaude soirée de l’été dernier. «C’était une attaque brutale, animale, sauvage, déplore Me Robert Assaël, l’avocat de la victime. Je n’ai jamais vu un tel cas de violence gratuite. Mon client m’impressionne par son courage, mais il ne vit plus. Il survit comme un robot.» Les deux agresseurs d’Ibrahim – Kosovars, 24 et 17 ans au moment des faits – sont prévenus de tentative de meurtre avec la circonstance aggravante de l’assassinat.

Pour une broutille…

Tout cela pour une broutille apparemment, survenue quelques semaines auparavant: une histoire de vélos renversés par le plus jeune des agresseurs et qu’un ami d’Ibrahim avait un peu sermonné... La victime a passé de longues semaines à l’hôpital. Pour GHI, il a accepté de revenir sur son agression. «Il était environ minuit dans la nuit du 1er au 2 juillet; je venais de fermer mon épicerie, un peu plus tard que d’habitude parce qu’il y avait du monde avec le festival de l’AMR aux Cropettes», explique-t-il. Ibrahim va chercher sa voiture stationnée dans son garage, rue Fendt. A l’angle des rues Fort-Barreau et Fendt, il reçoit un violent coup de poing à la mâchoire côté gauche. Je n’ai pas vu les agresseurs arriver. J’ai senti de la chaleur dans ma poitrine; je ne savais pas au début que mon artère mammaire avait été sectionnée. Je me suis mis en boule, je voulais aller sur la route pour qu’un automobiliste me vienne en aide. J’ai vu du sang sortir de ma poitrine, J’ai reçu des coups de couteau, des coups de poing, de pieds. A terre, la victime les a suppliés de le laisser. Il doit son salut à l’arrivée d’un automobiliste. L’alerte est donnée à 0h31. Un policier l’encourage à «tenir le coup».

Deux lourdes opérations

A son arrivée aux Urgences de l’Hôpital cantonal, Ibrahim est conduit au bloc opératoire. Le rapport médical fait état de «section de l’artère mammaire interne, de dilacération du lobe supérieur du poumon gauche; de lésion du péricarde; de lacération des muscles au niveau du membre inférieur gauche, etc. Au total, treize plaies et une opération de sept heures. Une autre intervention de cinq heures sera nécessaire, quelques jours plus tard, suite à la perte de liquide rachido crânien.

«J’ai eu peur de mourir, je me suis vu mourir», poursuit le trentenaire. Qui demeure, trois mois après les faits, très choqué par son agression. «J’ai été blessé, j’ai tout perdu; mon magasin est fermé: je ne peux plus faire mon travail puisque mon commerce se trouve à côté de la famille de mes agresseurs. Heureusement, des gens m’aident à m’en sortir, comme mon avocat, la LAVI et un psychologue. Je les en remercie.»

C’est pas moi, c’est lui

Les avocats des deux frères prévenus dans ce dossier n’ont pas souhaité s’exprimer dans nos colonnes. Selon nos informations, l’aîné conteste avoir donné des coups. Ce serait donc le cadet, mineur au moment des faits, qui se serait acharné. L’instruction le dira. Comme elle dira si, ainsi que le soutiennent les deux frères, Ibrahim les provoquaient depuis des mois. Pour le défenseur d’Ibrahim, «la ligne de défense est cousue de fil blanc! Le cadet, mineur, prend tout sur lui alors que son grand frère affirme avoir tout fait pour l’empêcher d’agir. Pourquoi? Parce le droit des mineurs est beaucoup moins sévère que celui applicable aux adultes! Cette approche opportuniste est contredite par l’instruction qui démontre déjà le rôle important de l’aîné et les mensonges récurrents des prévenus!»

L’arme est un couteau de 21 cm. Ibrahim a fourni à la police des images de vidéosurveillance sur lesquelles on voit l’un des deux agresseurs avec le couteau. Une plainte pour menaces de mort avait été déposée deux jours avant les faits.

Agressions de plus en plus violente

Le professeur Philip Jaffé, psychothérapeute et spécialiste en psychologie légale, constate que si «la violence gratuite a toujours existé» – on se souvient du film Orange mécanique – elle est souvent associée aux jeunes adultes et adolescents. «Le rôle des drogues variées et diverses n’est pas à sous estimer, poursuit le Dr Jaffé. Sur le plan socio-économique les inégalités augmentent, cela crée de la désillusion, de la rancœur, du ressentiment qui alimente une colère sourde chez certains jeunes, un peu ce qui crée aussi des vocations en termes de radicalisation.» Et d’ajouter: «Je constate aussi une augmentation de groupes d’ados en rupture et marginaux qui, sans leur faire un procès d’intention, sont clairement dans la transgression.» Pour Silvain Guillaume-Gentil, porte-parole de la police genevoise, «on constate une agressivité plus présente au quotidien pour des broutilles, un regard noir, une erreur au volant, etc.» Mais d’un point de vue purement statistique, on ne peut pas dire en revanche que le nombre d’agressions a augmenté au cours de ces dernières années.