Sida: courez chez le médecin!

Après un contact sexuel à risque, il existe un traitement réduisant de 80% la probabilité de contamination. Mais il faut consulter dans les heures qui suivent.Le public est très peu informé de l'existence de ce traitement. Les médecins craignent un relâchement des mœurs…Avec environ 3000 personnes séropositives, Genève est, après Kiev, la ville européenne la plus touchée par le sida.

  • Le test de dépistage ne pouvant se faire que plusieurs semaines après une exposition à haut risque, il est important de débuter un traitement sans attendre.

Vous croyez qu'après un contact sexuel à haut risque de sida, il faut attendre trois mois avant de consulter un médecin? Erreur! Vous avez intérêt à vous dépêcher. Il existe en effet un moyen de réduire de plus de 80% le risque de contamination après une exposition au virus. Mais pour cela, il faut débuter aussi vite que possible un traitement avec des antirétroviraux (médicaments usuels contre le sida). Idéalement, il s'agit de commencer à les prendre dans les heures qui suivent. Ce traitement, qui doit être poursuivi durant quatre semaines, a prouvé son efficacité depuis une bonne décennie. Mais il est «gravement méconnu» dans la population, accuse l'ARCAT, association de recherche, de communication et d'action pour l'accès aux traitements, à Paris.

Rapidité fulgurante

Interrogée, le Dr Françoise Barré-Sinoussi, Prix Nobel 2008 de médecine et co-découvreuse de l'immunodéficience humaine (VIH) en 1983, confirme la nécessité «d'agir vite» après une exposition au virus. En effet, une fois dans l'organisme, l'agent infectieux du sida se répand avec une rapidité fulgurante, quand bien même la contamination ne peut être détectée qu'après plusieurs semaines par le biais d'un test sérologique. «En agissant très tôt, on limite la concentration virale dans les réservoirs tissulaires profonds», déclare-t-elle. Le traitement précoce permettrait ainsi de «tuer dans l'œuf» le virus dans 80% des cas, selon l'Aide suisse contre le sida (aids). «Une personne qui arrive dans une permanence moins de huit heures après un rapport sexuel à risque est une véritable urgence», insiste l'ARCAT.

Partenaires sexuels

Cette médication, appelé prophylaxie post-exposition ou PEP, est officiellement recommandée en Suisse par la sous-commission clinique de la Commission fédérale pour les questions liées au sida (CFS). Elle est surtout décrite comme «extrêmement efficace» par le Pr Gilles Pialoux, vice-président de la Société française de lutte contre le sida (SFLS) et chef de service à l'hôpital Tenon, à Paris. Mais qui en a entendu parler? «Il y a eu un déficit de communication. La PEP n'a pas assez fait l'objet d'une information grand public», reconnaît le Pr Pialoux. Sans doute par crainte de réactions telles que demandes abusives, relâchement de la prévention ou assimilation à une sorte de «pilule du lendemain» du sida. D'après l'organisation à but non lucratif Family Health International (FHI), «la banalisation de la PEP pourrait freiner l'emploi du préservatif ou la réduction du nombre des partenaires sexuels». Même appréhension au sein de la CFS, qui souligne que l'effort individuel de prévention «ne doit pas reculer sous le faux prétexte de la disponibilité de ce traitement».

Tabou

La «discrétion» qui entoure l'existence de la PEP reflète selon le Pr Pialoux «un pessimisme tenace sur la façon dont la société réagit aux progrès majeurs des avancées thérapeutiques». Sur son site internet, l'encyclopédie médicale belge Medipedia parle de «tabou»: «Par peur de la prise à la légère, cette arme reste encore très peu connue.». «A mon avis, ces craintes sont injustifiées, objecte Deborah Glejser, porte-parole du Groupe Sida Genève. Mieux le public est informé, mieux c'est. On n'a jamais lutté contre le sida par l'ignorance.» En l'absence de statistique officielle, impossible de chiffrer le nombre de personnes qui bénéficient d'une PEP et celles qui seraient éligibles au traitement mais ne le reçoivent pas. Ce qui est sûr, c'est que la banalisation tant redoutée ne convainc pas les associations de lutte contre le sida. Il s'agit en effet d'un traitement lourd, entraînant des effets secondaires tels que nausées, dérangements gastro-intestinaux, troubles du sommeil, voire problèmes hépatiques graves.

«On n'a jamais lutté contre le sida par l'ignorance»

DEBORAH GLEJSER, porte-parole du Groupe Sida Genève