Moins écolo la presse papier? Pas si sûr!

ENVIRONNEMENT • Les journaux ont souvent mauvaise presse écologiquement parlant. Leur consommation de papier donne cette image trompeuse. En réalité, la presse numérique n’est pas plus vertueuse.

  • Contrairement à certaines idées reçues, le bilan écologique de la presse écrite n’est pas moins bon que celui des médias en ligne. 123RF

«Le bilan carbone de la presse numérique est difficile à établir précisément car il dépend de la localisation des data center, du fait que les données y soient conservées longtemps ou non mais aussi de la durée de lecture et du nombre de partages ou d’impressions papier», résume Werner Halter, directeur de Climate Service, entreprise romande spécialisée dans la quantification des émissions de CO2.
A l’heure où ces émissions semblent être devenues la mesure de tout, la presse écrite a parfois mauvaise presse… Les défenseurs de l’environnement lui reprochent sa consommation de papier, dont la production nécessite beaucoup d’eau… Mais, le «4e  pouvoir» ne pouvant raisonnablement être passé par pertes et profits sur l’autel de l’écologie, certains lui suggèrent régulièrement de passer au tout numérique. Cette révolution culturelle est d’ailleurs emmanchée mais plus pour des raisons économiques et d’adaptation aux changements d’habitudes du lectorat. Le hic est que le tout numérique n’est pas plus vertueux écologiquement.
Papier recyclé et encres non minérales
Arbres abattus, rotatives énergivores, encres consommées par tonneaux, camions de livraison engrangeant les kilomètres… Sur le papier, la presse semble n’avoir que des défauts. Mais ces apparences sont trompeuses. Pour commencer, le papier est souvent recyclé, tout au moins c’est le cas pour GHI et Lausanne Cités. C’est le cas aussi chez La Salamandre qui imprime sur du papier mixte recyclé FSC. «Notre imprimeur est l’un des plus avancés en Europe sur les questions environnementales. Il utilise des encres non minérales, ce qui est devenu la norme dans notre secteur. Il est basé à 100 km seulement de nos locaux. Et nous ne sommes quasi pas présents en kiosque», résume le Valdo-Genevois (né à Genève mais qui a grandi sur la Côte vaudoise) Julien Perrot, fondateur du célèbre magazine animalier.
Et surtout, un journal papier a une empreinte carbone mesurable et unique. Et un même journal est bien souvent lu par plusieurs personnes. Cerise sur le gâteau, il est recyclable. 
Lire un même texte sur un écran et bien souvent le partager à divers contacts qui feront peut-être de même, voire l’imprimer, est loin d’être indolore en termes de consommation de ressources. Car chaque lecture requiert un réseau et des centres informatiques bien réels et énergivores… Or, dans le monde, ces infrastructures reposent à 80% sur l’électricité produite à partir de combustibles fossiles et nucléaires.
200 g de CO2 au numéro
A contrario, selon la société spécialisée Ecograf, une publication régionale, telle que la nôtre, émet 200 grammes d’équivalent CO2 au numéro. Soit l’équivalent de l’envoi d’une dizaine d’emails… On se rappellera aussi qu’acheter un journal revient à alimenter un écosystème économique impliquant des emplois.
Selon Green IT, le collectif des experts de la sobriété numérique, la part du numérique dans les émissions de gaz représentait 4% en 2019 et ce chiffre a probablement augmenté depuis», rappelle Louise Aubet de Reisilio, start-up lausannoise spécialisée sur l’impact environnemental du numérique. «De plus, la construction des appareils numériques, très gourmands en énergie au quotidien, nécessite beaucoup de minerais rares», rappelle Thomas Jacobsen d’Infomaniak.

Exemplaire… mais minoritaire

Infomaniak, fournisseur cloud suisse spécialisé dans l’hébergement web et le développement d’outils de productivité en ligne, est souvent cité en exemple pour ses efforts précurseurs en matière de numérique responsable. «On fait en sorte que nos serveurs, répartis sur trois data center dans le canton de Genève, aient une durée de vie de 15 ans, car l’achat de serveurs est ce qui émet le plus de CO2 chez Infomaniak. De plus, ils fonctionnent à l’énergie hydraulique et solaire donc renouvelable. Depuis 2013, Infomaniak ne refroidit plus ses infrastructures avec de la climatisation et notre nouveau data center va plus loin et revalorisera 100% de l’énergie consommée pour chauffer jusqu’à 6000 ménages», résume Thomas Jacobsen. Mais le porte-parole d’Infomaniak rappelle que ces louables efforts ne sont de loin pas la norme! La grosse majorité des serveurs mondiaux sont alimentés avec de l’énergie fossile. Ils sont situés dans des locaux climatisés à 100% et la chaleur produite part directement dans l’atmosphère. «Le numérique n’est donc pas aussi vertueux qu’on veut bien le croire», conclut le spécialiste.