La moto permet de s’inscrire dans le paysage, sans doute pas aussi pleinement que lors de la marche, mais de manière éblouissante le plus souvent. La montagne, l’océan Atlantique, les hauts plateaux de l’Aubrac, les larges plaines fécondes, le Rioja à la vigne vigoureuse, le soleil aride, la pluie, les Pyrénées, les cols, tout s’amalgame pour faire du voyage de Genève à Saint-Jacques de Compostelle une succession d’impressions qu’il n’est pas toujours aisé, par la suite, de dissocier. Mais les lacets de la route, la manière fluide de conduire, un petit filet de gaz permanent, cela suffit à faire que la moto ne roule pas: elle vole! Et il ne faut pas ensuite un grand effort pour entendre rire les anges dans le ciel clair… Voyez-vous, c’est bien avant l’arrivée à Compostelle que le miracle a lieu car, plus que la voiture qui privilégie le but à atteindre, la moto privilégie le chemin. C’est elle le vrai but du voyage: la route.
Bijoux architecturaux
La route de Compostelle est longue; depuis la Suisse, elle est jalonnée de bijoux architecturaux qui ne deviennent sublimes que si on prend le temps de s’arrêter et de regarder: Le Puy, Conques, Moissac, Burgos, León… Lentement, la curiosité se transforme en contemplation, l’asphalte lime les rugosités intérieures et, au fil des kilomètres, vous avez l’impression de remonter vers une origine. C’est cette élévation salvatrice qui fait que le pays se révèle. Ce pays est superbe, ses gens chaleureux et la multitude de paysages variés coupe le souffle. Un jour au sommet d’un col, un autre en bordure de mer, traversant ici d’épaisses forêts, là, des champs de tournesols, la route sinue à flanc de falaise entre les fortes pierres des Picos de Europa, puis elle va se perdre tout là-haut, dans la brume des lacs, avant de replonger vers l’océan. Elle défile, toujours identique et toujours différente, sous les roues de la machine. La route, c’est la vie!
A l’arrêt, la moto attire la curiosité: les gens s’approchent volontiers et le contact est facile. Souvent ce sont eux qui proposent un lieu où il nous faut nous rendre pour ne pas manquer le site dont ils sont fiers. Ils nous désignent tel ou tel endroit à visiter, et des étincelles brillent dans leurs yeux. Ainsi je n’ai jamais suivi exactement le chemin que je comptais suivre. Et je tiens là une des définitions de la liberté. A pied, voire à vélo, la fatigue aidant, tous les kilomètres comptent, on n’en fait pas plus car on n’a pas le temps. A moto, ce n’est pas le cas: le parcours s’adapte à nos longs désirs et à notre curiosité; la moto permet, en rendant aux pensées leur avenue de rêve, d’augmenter le pouvoir onirique des paysages. Le temps y est d’une autre nature, il valorise l’instant: et je tiens là une des définitions du bonheur.