CEVA: gouffre à millions

CHANTIER • Douce et trompeuse démocratie de baptême: en invitant la population à se prononcer sur le nom du CEVA, on érige juste un gigantesque paravent. Pour camoufler quoi? Des coûts en augmentation, bien sûr.

  • Un chantier dont les coûts n’ont cessé d’augmenter. DAVID ROSEMBAUM-KATZMAN

    Un chantier dont les coûts n’ont cessé d’augmenter. DAVID ROSEMBAUM-KATZMAN

«A la fin, combien aurons-nous payé?»

Pascal Décaillet

Le CEVA: le serpent de mer se révèle un monstre de gourmandise. Depuis qu’on en parle, les estimations – réelles ou camouflées – de coût n’ont cessé d’augmenter. Oh, pas la peine de remonter à 1912! Mais au 29 novembre 2009, oui, peut-être, le jour de cette votation populaire où le corps électoral du canton approuvait, dopé par l’intense campagne des partisans, la construction d’une liaison ferroviaire Cornavin-Eaux-Vives-Annemasse. Ce dimanche-là, les milieux du bois et du bâtiment, le patronat de la construction, les partis de la droite économique, mais aussi la gauche parlementaire, bombaient le torse, et nous promettaient des lendemains qui chantent. Le CEVA, c’était le Progrès. Oser se déclarer anti-CEVA, c’était régresser au rang de primate. Brute de décoffrage. Incapable de discernement. Gueux, parmi les Gueux.

Enjeu politique

Telle avait été l’ambiance de cette votation, diabolisante à souhait, toute d’anathèmes et d’exclusions, partageant le monde entre Bons et Mauvais, Eclairés et Nocturnes. Pour être dans le coup, il fallait se soumettre à l’Ordre de la Lumière. Un député radical, extatique partisan du oui, avait mené campagne jour et nuit, gagnant ses galons de futur président du Grand Conseil. Car le vrai enjeu du CEVA, à part construire un train, était totalement politique. Il s’agissait, en cet automne électoral, de créer une plateforme de contenu autour d’un objectif simple et clair, pour fédérer les partis gouvernementaux sortants, sollicitant réélection. Les radicaux, les libéraux, le PDC, les Verts (eh oui!), les socialistes (eh oui!). Il fallait surtout limiter au maximum l’ascension du MCG (qui passait tout de même, en cet automne 2009, de 9 à 17 sièges, puis 20 en 2013). C’était l’époque où les Verts étaient si heureux de collaborer avec le Bourgeois, pour mieux ostraciser le Gueux. Ils étaient si accommodants, ces Verts, eux aussi guettaient le Perchoir, qu’ils obtinrent d’ailleurs.

Silence gêné

Gourmand, le CEVA. Comme un monstre affamé. Présent il y a quelques semaines sur le plateau de Genève à chaud, sur Léman Bleu, un conseiller d’Etat était demeuré muet lorsque nous lui avions demandé si le CEVA allait engendrer des coûts supplémentaires.

Le mercredi 27 mai dernier, rétrospectivement, on commençait à comprendre ce silence gêné, en apprenant, l’air de rien, que 40 millions supplémentaires allaient être nécessaires pour aménager des places, proches des haltes du futur RER. Comme si cela n’avait pas pu être prévu dans le budget initial! Mieux: le lundi 1er juin, les bonnes gens de la Mobilité nous annonçaient en sifflotant le lancement d’un gentil concours, auprès de la population, pour trouver, entre quatre variantes, un nom au CEVA. Douce démocratie de baptême, qui vient servir de paravent à un dépassement de crédits – c’en est un, bien sûr – dont on avait appris l’existence cinq jours plus tôt!

Quel coût final?

Tel est le CEVA, monstre de voracité, atténué par une machine de propagande sans cesse recommencée. A la fin, combien aurons-nous payé? Qui, aujourd’hui, peut le garantir? Qui, parmi les citoyens, est encore dupe de la mise en scène de l’information orchestrée par le Conseil d’Etat?

Combien de temps l’édulcoration du réel va-t-elle encore se pavaner, pour camoufler l’essentiel: des coûts finaux que nul ne contrôle.