«Gardez-vous de triompher trop tôt»
Pascal Décaillet
Amis de l’Entente, nous vous aimons bien, vous êtes des gens courtois et bien habillés, vous maîtrisez le droit et les bonnes convenances. Cercle libéral par ci, kermesses PDC par-là, amicales de grognards radicaux, bonapartistes, moustachus, raides comme la République, avec juste un coup de blanc et une gousse d’ail, oui, surtout vous, les derniers, nous vous aimons. Mais de grâce, les uns et les autres, restez calmes. Parce que vous avez marqué des points dans l’élection des Conseils municipaux, le 19 avril, et parce que d’autres y ont laissé quelques plumes, voilà que certains d’entre vous – les plus jouvenceaux, les plus inexpérimentés, la plupart du temps – nous servent un véritable discours de Restauration. Pas celle de Genève, la belle, sur la Treille. Non, celle de Paris, avec le gros Louis XVIII, emperruqué dans sa suffisance, qui nous revient de son exil, du côté de Liège, après l’épisode bonapartiste.
Les Marges n’ont pas disparu
Le coup de la Restauration, c’est le mythe de la fin du cauchemar. J’ai cité ici, la semaine dernière, les vraies pertes en sièges dans les Conseils municipaux, notamment pour le MCG et, bien pire, pour les Verts. Elles sont bien réelles, il ne s’agit pas de les nier. Et vos gains, à vous, sont parfaitement exacts, aussi. Il appartiendra à ces deux partis, mais aussi à l’UDC, qui m’apparaît moralement comme un grand perdant de ce 19 avril, de tirer les conclusions politiques qu’ils jugent nécessaires. C’est leur affaire. Mais s’il vous plaît, vous l’Entente, gardez-vous de triompher trop tôt. Les Marges, de gauche comme de droite, se sont rétrécies, c’est vrai. Mais enfin, elles n’ont pas disparu! Elles sont toujours là, bien vivantes.
Le MCG se maintient
Dans les Conseils municipaux des grandes communes suburbaines (Lancy, Onex, Vernier, Meyrin, Carouge), le seul enjeu d’importance stratégique pour lui, le MCG se maintient parfaitement. Idem, en Ville de Genève. Pour les exécutifs, qui seront tranchés le dimanche 10 mai, c’est en effet une toute autre affaire: nous n’avons, ici même, jamais rien dit d’autre. Et nous n’avons pas non plus, pour notre part, attaqué le système: on a certes le droit d’aspirer à le changer, mais bien sûr à froid, en cours de législature, et non dans l’entre-deux-tours d’un scrutin.
Le retour des vieilles alliances
Le coup de la Restauration, c’est s’imaginer (et par là, faire croire autour de soi) que tout serait, comme par magie, ce 19 avril, «rentré dans l’ordre». Parce que les trois partis des Marges (Ensemble à Gauche, UDC, MCG) ont perdu des plumes, ce serait, pour l’éternité retrouvée, le grand retour, à gauche comme à droite, des bonnes vieilles alliances de pouvoir, ici l’Entente, là le duo Verts-PS. C’est cela, depuis 1814 puis 1815, la Restauration: d’aucuns jouissent dans leur coin à l’idée d’un Ordre rétabli. Quel Ordre? Celui d’avant! Celui du temps béni où ces quatre partis-là se partageaient pouvoir et prébendes. Eh bien ce temps n’est pas encore advenu. Vous avez certes, amis de l’Entente, retrouvé de belles couleurs le 19 avril, bravo à vous. Mais pour la Restauration, la disparition des Marges, le retour à votre absolu pouvoir de jadis, il faudra patienter un peu. Disons jusqu’à Pâques. Ou peut-être, comme dans la chanson, jusqu’à la Trinité. A tous, je souhaite une étincelante éternité.