Je vote depuis bientôt 39 ans, quatre fois par an. Ça fait beaucoup. Mais il est certains scrutins, deux ou trois fois par décennie, qui marquent plus que d’autres. Le 6 décembre 1992, par exemple, sur l’Espace économique européen, on l’avait qualifié de votation du siècle, et ma foi ça n’était pas loin d’être vrai. Et puis, parmi d’autres, il y a eu ce fameux 9 février 2014, sur l’immigration de masse. Enfin, juste là, maintenant, il y a le dimanche 12 février 2017, sur RIE III, la réforme de l’imposition des entreprises. Le double non, celui de la Suisse (59,1%), et aussi celui de Genève (52,3%), canton très concerné par les multinationales, appelle des réflexions qui vont bien plus loin que l’enjeu même de la votation. Il constitue le refus, en profondeur, sans appel, d’une certaine forme de libéralisme au pouvoir dans le pays. Rejet, surtout, des tonalités d’arrogance insupportable avec lesquelles, trop souvent, le oui fut défendu.
Harmonisation fiscale
Les Suisses n’ont certainement pas dit non à une unification des taux d’imposition dans les différents cantons. Les citoyennes et citoyens de ce pays, parfaitement informés, rompus à l’exercice de la démocratie directe, ne confondant pas, eux, vote et plébiscite, sont largement assez mûrs pour faire la part des choses, comprendre que des nécessités internationales nous imposent une harmonisation fiscale. Bref, ils auraient pu dire oui, le diront sans doute une autre fois, face à un projet mieux ficelé. Ce qui les a dérangés, c’est l’arrogance, dans le camp du oui. Le chantage à l’absence de Plan B. Le cours d’économie, asséné d’en haut, par des nantis en costume-cravate, à la brave populace qui n’aurait pas, par son expérience de vie, l’exercice d’un métier, le budget d’un ménage, la fin de mois à boucler, les moyens de se faire une idée de ce qui est bon, ou pas.
Comportement internationaliste
Inutile de chercher des responsables du côté du grand patronat ou de l’USAM (Union Suisse des Arts et Métiers). L’épidémie de l’arrogance dépassa de loin le cercle de ces organisations. Il fallait, partout en Suisse, dans les rangs libéraux, et aussi hélas à Genève dans ceux du PDC, voire d’une droite qu’on pût espérer moins libérale, prendre la docte posture de celui qui sait. Terroriser les gens en leur brandissant l’exode des multinationales. Soutenir à tout prix ces dernières, quitte à en apparaître comme les valets, comme d’autres, naguère, soutinrent l’Emigré de Coblence contre la Nation. Pas sûr que ce comportement internationaliste, où la superbe le dispute à la supériorité, attire la sympathie de l’électorat.
Parler autrement aux citoyens
Il va falloir, maintenant, sur les questions économiques et financières, que dans ce pays, on commence à nous parler autrement. On ne persuade pas le corps électoral par des aboiements. On lui sert des arguments. On écoute ceux des opposants. On tente de convaincre. Il y eut, dans cette campagne, comme un parfum d’arrogance et de hauteur que le peuple suisse n’a plus du tout envie de sentir planer. Nous sommes des citoyens, pas des sujets.