«Finalement, je suis un vieux Suisse»

Acteur de renom, sociétaire de la Comédie-Française, 88 ans, Jean Piat n'a plus à prouver son talent et savoure chaque jour avec bonheur. Il est le compagnon de l'écrivain Françoise Dorin qui signe «Ensemble et séparément», la pièce qu'il joue avec Marthe Villalonga.

  • Jean Piat

    Jean Piat

- Vous avez reçu la Légion d'honneur, celle des Arts et des Lettres et celle de l'ordre du Mérite, mais aussi un Molière. C'est beaucoup pour un seul homme?
- Ce sont des petits plaisirs à mettre au bénéfice de l'âge, des décorations honorifiques que la République attribue à ceux et celles qui, estime-t-elle, ont contribué au bonheur et à la grandeur de la Nation. Rien d'essentiel dans mon existence. Mais on ne refuse pas un tel honneur!

- Ces distinctions vous ont-elles aidé, voire permis d'asseoir votre carrière?
- Hélas non. Ce qui aide à durer dans ce métier, ce sont les gens qui viennent vous voir au théâtre et les auteurs qui vous font confiance. Les distinctions sont des lumières passagères.

- Vous serez sur les planches du Théâtre du Léman avec Marthe Villalonga. Une amie?
- Pas du tout. Je la connaissais en tant qu'actrice. Mais je ne l'avais jamais rencontrée avant de travailler avec elle. Et cela a été, comme pour les personnages de la pièce, une rencontre étonnante entre deux êtres différents, et un vrai bonheur.

- Une surprise?
- J'ai rencontré une femme et une actrice très poétique. Marthe a une grâce, une légèreté, et un côté petit fille parfaitement charmant. Elle a aussi une nature puissante… et cette pièce laisse apparaître un autre visage d'elle. L'idée de cette pièce est née d'elle, de son sourire charmeur qui a inspiré, lors d'un dîner d'après scène, ma compagne Françoise Dorin. Cette pièce est la continuité du «Petit traité sur le bien vieillir» et part du postulat que la vie est une chance dont on ne se rend pas toujours compte, mais qu'il est possible à tout âge de l'enrichir par une rencontre. C'est aussi une pièce sur le hasard qui fait parfois très bien les choses et permet de nouer des amitiés improbables profondes.

- Quel est son rôle?
- Celui d'une dame qui a écrit un livre et de sa rencontre avec un homme, un éditeur qui a trouvé son livre exceptionnel…

- Et quel est votre rôle?
- Je suis l'éditeur. Un homme d'affaires solitaire, pourvu de tous les égoïsmes que cela suppose. Ce qui l'intéresse chez elle, c'est son bouquin. Le reste, il s'en fout. Du moins, il le croit. Mais petit à petit des liens se tissent et une amitié naît.

- Ce personnage vous ressemble-t-il?
- Son optimisme et sa joie de vivre me ressemblent. Il est en bonne santé et d'une grande force morale. A mon âge, j'ai comme lui la chance d'avoir encore une énergie physique et mentale intacte. J'ai eu un parcours de vie heureux et j'en remercie le ciel.

- Vous croyez que le ciel vous a aidé?
- J'ai perdu ma mère très jeune, à l'âge de 17 ans. J'ai pourtant toujours eu l'impression d'être guidée par elle. Mes parents étaient à des années lumières du monde du théâtre. Pourtant, ma mère m'a permis de suivre des cours en cachette de mon père. Le fait que je sois entré à la Comédie Française à 23 ans a été, pour moi, comme une reconnaissance et la preuve faite à mon père qu'elle avait eu raison de me laisser suivre cette route.

- A-t-il alors ouvert les yeux?
- Cela n'a rien changé. A tel point que quand il est venu me voir, en 1967, jouer Cyrano de Bergerac, mon père ne m'a parlé que du spectacle des Folies Bergères qu'il avait vu quelques jours avant. Pas un mot sur ma prestation! Et quand je le lui ai fait remarquer, il m'a répondu qu'il n'était pas là pour me flatter. Mon père était un homme solide, sur qui on pouvait compter, pas un homme de flatterie.

- Entre le cinéma et le théâtre, avez-vous eu l'impression d'avoir à choisir?
- Non, le choix a été involontaire. Mais c'est très bien ainsi. J'ai eu des rôles qui m'ont comblé à la TV, pas au cinéma… on n’a pas droit à tous les destins.

- Un regret?
- Aucun. Le théâtre nourrit son homme, il ne l'enrichit pas. Par contre, le théâtre fait durer l'acteur, ce qui est plus périlleux au cinéma!

- Vos projets pour les dix ans à venir?
- Pour autant que Dieu me prête un peu d'avenir, je souhaite rester sur scène le plus longtemps possible. Mais je ne voudrais pas y mourir. Une scène n'est pas faite pour ça.

- Vous jouez en Suisse les 20 et 21 novembre. Connaissez-vous Genève?
- J'y suis venu plusieurs fois. J'ai même animé des soirées littéraires à la Comédie de Genève il y a de cela trente ou quarante ans… J'ai monté Le mariage de Figaro avec des acteurs suisses, parmi d'autres classiques. J'ai beaucoup d'affinité avec la Suisse. J'ai de très bons amis vignerons, la famille Bovy à Chexbres. Je suis même membre de la Confrérie du Guillon. Finalement, je suis un vieux Suisse.

«Ensemble et séparément», une comédie de Françoise Dorin, avec Jean Piat et Marthe Villalonga, les 20 et 21 novembre au Théâtre du Léman.