«J'avais envie de m'offrir mon petit livre idéal»

  • Pascal Rebetez

    Pascal Rebetez

- Première page, première coquille (un $ qui s'immisce à la fin du mot rachitique). Difficile d'être auteur et éditeur à la fois?

- Après une cinquantaine d'ouvrages édités pour satisfaire d'autres ego, j'avais envie de m'offrir mon petit livre idéal. Et paf une coquille! Du coup, mon ego et la correctrice ont reçu une très profitable correction! Plus sérieusement, la perfection reste ainsi en ligne de mire, histoire de ne jamais prendre la grosse tête.

- Vos portraits sont des rencontres avec des nobodys, personnages parfois paumés, toujours attachants, Genevois souvent, à l'image de Camille. L'avez-vous retrouvé?

- Je l'ai revu après avoir écrit son récit de putzfrau citadin, nettoyeur en chef du quartier des Grottes, un homme totalement dans la marge et qui m'apparaît toujours comme une sorte de saddhu, un sage qui se serait désencombré de toutes les vanités humaines et mondaines.

- D'où vient votre mélancolie dans l'écriture?

- J'ai davantage de sympathie pour ce qui ne brille pas plutôt que pour le clinquant et les manifestations de la réussite. Cela étant, les obscurs et les sans-grade ont aussi leur lumière: c'est cette incandescence qui m'attire. La révéler se fait mieux dans le noir: c'est ainsi que je vois ma mélancolie, comme un laboratoire de développement.

- Vous étiez un adolescent fugueur. Vous en relatez d'ailleurs la première tentative. Pensez-vous être un rescapé de la vie?

- Oui, dès le moment où mon camarade de fugue en est mort un peu plus tard. Ça aurait pu être moi. J'ai eu la chance d'avoir reçu par les fées une distribution bienveillante à mon berceau génétique.

- Dans votre livre, il y a cette femme, survivante de la guerre d'Indochine, frappée en pleine tête par un pavé perdu… Mai 1968, c'était comment pour vous?

- J'avais 12 ans et je vivais dans la campagne jurassienne, alors, oui, la couverture de Paris Match, la voix de Cohn-Bendit et peut-être déjà la légère impression que la recherche de la liberté allait bientôt me faire choisir davantage la joie des manifestants que la grisaille de l'ordre policier.

- Qu'est-ce qui vous révolte aujourd'hui?

- Comme hier, le mépris, l'arrogance et la bêtise triomphante. C'est contre ça que je tente, à ma mesure, de redonner du sens à l'humain, aux individus. Ce sont mes semblables, et c'est en assumant cette parenté que, par ailleurs, j'acquiers mon individualité. Reconnaître les siens, c'est mieux se connaître soi-même.

- Vous dites que l'on est aussi le fruit des gens que l'on rencontre. Qu'en avez-vous gardé de plus précieux?

- Le sens de la relativité des choses et de la fragilité de la vie. Raison de plus de la chanter, la vie, et d'ainsi rendre hommage à mes prochains, y compris ceux qui ont passé l'arme à gauche.

Info:
«Les prochains: vingt-cinq portraits» de Pascal Rebetez, éditions d'autre part, Genève, www.dautrepart.ch