Conseil d’Etat: la dérive autoritaire

EXéCUTIF • Le gouvernement genevois est en fin de règne. Les signes de raidissement, voire d’arrogance du pouvoir, se multiplient. La palme: on l’accorde sans hésiter au ministre des Transports, sur les zones à 30 km/h.

  • Le ministre des Transports ne s’est pas embarrassé d’un texte à ratifier par les élus du peuple pour étendre les zones à 30 km/h. AMM

Pourquoi diable s’embêter à affronter le parlement, alors qu’on peut gouverner par ordonnance? Cette question centrale, rêve inavoué de tous les exécutifs du monde, le Conseil d’Etat genevois l’a résolue à sa manière. Par la grâce d’un ministre, celui des Transports, Serge Dal Busco. Sur le sujet hypersensible des zones à 30 km/h, le magistrat ne s’est pas embarrassé d’un texte à ratifier par les élus du peuple, il y est allé par la voie d’un arrêté de son Département, et vogue la galère!

Saute-mouton sur le dos des élus

En France, cela s’appelle le 49.3. Dans ce pays où le parlement a toujours été malmené par l’exécutif (sauf sous les Troisième et Quatrième Républiques), c’est l’article qu’on brandit lorsque les discutailleries des députés nous fatiguent. Alors, on promulgue. Certes, on risque la motion de censure, mais on a préparé ses arrières: on sait que l’Assemblée n’ira pas jusqu’à provoquer la chute du gouvernement. Michel Rocard, entre 1988 et 1991, avait excellé dans cette partie de saute-mouton sur le dos des élus du peuple.

Dans notre démocratie suisse, les choses ne se passent pas comme cela. Le parlement, à Genève, est le premier pouvoir. C’est lui qui contrôle l’activité du gouvernement et de l’administration. Il peut leur taper sur les doigts, les remettre à l’ordre, notamment dans la commission de contrôle de gestion du Grand Conseil. Dans les cas graves, on crée même une commission d’enquête parlementaire.

Malgré ce statut historique du législatif, M. Dal Busco n’a pas craint de gouverner par ordonnance. Ça passe mal. La droite fulmine, notamment le PLR, hors de lui. Sympathique ambiance au sein de l’Entente (existe-t-elle encore?), à quelques mois des élections!

Résignation des députés

Le ministre des Transports, au demeurant le meilleur des hommes, n’est pas le seul à se raidir dans l’exercice du pouvoir. La crise du Covid est passée par là, l’exécutif a pris des habitudes, il a exercé un pouvoir d’exception, certains y ont manifestement pris goût. Dire que le parlement a été mis de côté pendant ces longs mois de pandémie, c’est soulever une évidence.

Le plus étonnant n’étant pas, d’ailleurs, les habitudes autoritaires du pouvoir, mais la résignation des députés, semblant trouver normal que la vie politique du canton, pendant toute cette période, se fût déroulée sans eux. Face à une telle léthargie des élus du peuple, pourquoi les ministres se seraient-ils gênés, après tout?

Il y a pire. Au Grand conseil, il arrive de plus en plus souvent que des conseillers d’Etat se permettent de faire la leçon aux députés, quand ils ne leur passent pas franchement une bordée. C’est totalement inadmissible. Au parlement, un magistrat n’est pas chez lui. Il est face à la représentation populaire, il lui doit des comptes, il n’est en rien autorisé à la sermonner. Mais le plus surréaliste, c’est lorsque des députés, par groupes entiers, se mettent à applaudir la leçon de morale d’un ministre qui se croit dans son bureau, face à ses subordonnés!

Avec de tels godillots, tout juste bons à servir de groupie à «leur» magistrat, l’arrogance du pouvoir exécutif, à Genève, a encore de magnifiques jours devant elle.