Construction du CEVA: 
des propriétaires crient à l’injustice

DÉVELOPPEMENT • En plus des nuisances, les travaux de réalisation de la ligne ont provoqué des fissures dans plusieurs habitations. Aujourd’hui, des habitants regrettent le manque de considération de la part des CFF et de la justice.

  • Proche des habitations, la construction du CEVA a eu des conséquences négatives pour les riverains.

«C’est un scandale. N’ayons pas peur de le crier haut et fort!», plaide Romuald*, habitant le quartier de la Chapelle, à deux pas de la gare de Lancy-Bachet. «Certains d’entre nous ont dû payer plusieurs centaines de milliers de francs pour réparer les dégâts engendrés par les travaux du CEVA. Et comme le passage des trains fait encore et toujours trembler les maisons concernées, cela n’aura servi à rien puisque les fissures réapparaissent!» Non loin de là, Antoine* connaît la même problématique avec des murs qui se lézardent. «Alors qu’on a dépensé près de deux milliards pour ce chantier, les CFF n’auraient-ils pas dû prévoir quelques dizaines de millions pour indemniser les personnes concernées, notamment les commerçants. Aujourd’hui, certains on fait faillite ou ont renoncé à poursuivre leur activité dans les conditions inacceptables que leur imposait le chantier.»

Dans le viseur des habitants rencontrés, qui préfèrent tous rester anonymes, le manque de considération pour leurs plaintes. «Fort de leur puissance fédérale et de leur arrogance, les responsables du dossier ont fait la sourde oreille en se retranchant derrière de vagues excuses telles que ce n’est pas le chantier qui a détruit vos maisons mais la sécheresse. Punkt schluss! On ne peut donc rien pour vous…. Mais la sécheresse ne date pas d’aujourd’hui. Certaines de ces maisons ont plus d’un siècle, ont connu des périodes sèches mais n’ont jamais été détériorées de la sorte..»

Comparable à une perceuse

A l’époque, la problématique des nuisances et des dégâts est largement abordée dans la presse locale. Le chantier a obtenu le droit d’effectuer des travaux de nuit, ce qui empêche de nombreux habitants de dormir. En 2015, un journaliste de la Tribune de Genève l’avait constaté directement dans les appartements du quartier de la Chapelle, à Lancy: «Le bruit est comparable à celui d’un voisin qui ferait un trou à la perceuse dans un mur contigu». La même année, l’association pour la sauvegarde du site de la Chapelle (ASSC) portait sa cause à Berne en reprochant à l’Office fédéral des transports d’instruire trop lentement une plainte déposée en juin 2014.

Près de 10 ans plus tard, si les travaux sont terminés, la colère est encore vive dans le quartier. «Nous avons été choqués par la manière dont on nous a traités. Les CFF sont un maître d’ouvrage public. Pourtant, ils ont tout fait pour faire traîner nos revendications. Finalement, ils ont continué leurs travaux et affirmant que nous devions être trop sensibles au bruit», regrette Fabio Heer, ancien président de l’ASSC.

Même chose pour les dégâts matériels, que plusieurs habitants ont pu constater après le début des travaux. «C’était la croix et la bannière pour faire reconnaître que les fissures étaient bien liées au chantier. Les CFF contestaient. Les personnes concernées ont dû mener un combat homérique pour obtenir des réparations qui n’étaient pas à la hauteur de leurs attentes. C’est quand même regrettable que la régie de transport, qui dispose d’énormes moyens, n’ait pas anticipé ce type de situation et n’ait pas été plus à l’écoute.»

Regardants sur les indemnités

De leurs côtés, les CFF reconnaissent avoir traité plusieurs demandes de propriétaires, commerçants, communes et autres tiers concernés par les travaux. Malgré tout, l’entreprise publique se défend de tout manquement. «Comme dans tout projet d’infrastructure, des demandes peuvent survenir concernant d’éventuels dommages. Dans le cadre de la construction du CEVA, cela a concerné un peu plus d’une dizaine de cas», confirme Frédéric Revaz, porte-parole pour les CFF. Qui ajoute qu’un budget était bel et bien prévu pour traiter d’éventuels problèmes. «Toutes les demandes d’indemnisation ont systématiquement été traitées et dans les cas avérés les propriétaires ont reçu une compensation.»

Alors pourquoi ces nombreux désaccords avec les habitants? «La réalisation d’infrastructures est financée par l’argent des contribuables et une indemnisation ne peut être versée que s’il est attesté que des dégâts en résultent. Les prises de position des CFF sont en outre faites sur la base de bureaux spécialisés», détaille Frédéric Revaz. Traduction: les CFF se montrent regardants avant de venir en aide aux habitants. «Des dédommagements ont été versés lorsque la responsabilité du chantier était engagée. Cela a concerné moins de la moitié des cas évoqués. Il peut bien entendu y avoir des désaccords. Les litiges sont alors tranchés par la Commission fédérale d’estimation, qui est compétente pour traiter ces cas.»

La régie rappelle également qu’avant le début des travaux, des états des lieux ont été dressés dans les bâtiments existants aux abords du tracé. Un travail qui a concerné plus de 350 parcelles, pour un total d’environ 2000 états des lieux. «De plus, pendant et après la construction du CEVA, un suivi des mouvements du terrain a été fait par des bureaux spécialisés. Ceci a permis d’attester de la bonne tenue des travaux et de vérifier la stabilité des terrains», ajoute le porte-parole.

Pas de quoi calmer les habitants mécontents, qui estiment être les grands perdants. «Avec tout ce que nous avons subi, on aurait pu se montrer plus généreux avec nous. Il faut que tout le monde sache que lorsqu’un tel projet sort de terre, ce sont les riverains qui trinquent!», persiste Romuald.