Hadi Barkat: «Je suis un rêveur en marchant…»

PORTRAIT • Il est le patron et le fondateur des célèbres éditons Helvetiq connues dans toute la Romandie. Lausannois Hadi Barkat reste une sorte d’ovni dans le monde plutôt fermé de l’édition, avec un parcours original et de grandes ambitions.

A l’heure de la toute-puissance du numérique, Hadi Barkat peut se vanter d’avoir réussi un sacré tour de force: faire de sa petite maison d’édition Helvetiq, fondée en 2008, une success story à priori improbable. Spécialisée initialement dans les jeux de société en bois, destinés à ses débuts à mieux faire connaître la Suisse, elle a grandi et élargi sa gamme, leur adjoignant des ouvrages pour la jeunesse et des romans graphiques avant de se lancer aujourd’hui dans la vente de livres outre-Atlantique.
Des origines algériennes
Hadi Barkat est originaire de Biskra, une ville située à quelque 400 km au sud-est d’Alger. Mais il n’y a jamais vécu, ses parents ayant rapidement déménagé vers la capitale algérienne où il est né et a fait tout son cursus scolaire. Sa première visite en Suisse, il l’effectue à l’âge de 11 ans avec ses parents, puis il y revient trois ans plus tard pour effectuer un camp de tennis, à Villars-sur-Ollon. «C’était en 1991, durant un été politiquement turbulent en Algérie. Mes parents avaient tenu à m’éloigner quelque temps du pays», se souvient-il. A cette occasion, il retrouve un de ses oncles qui vit à Lausanne et le convie à visiter l’EPFL. «Ça  a été pour moi comme un déclic.» Quelques années plus tard, il y est accepté sur dossier et en ressort avec un titre d’ingénieur en informatique.
Il rejoint ensuite l’Innovation Park de l’EPFL et, avec quatre collègues, lance une start-up. «J’avais vraiment envie de me lancer dans l’informatique de création, pas dans l’informatique de gestion», explique-t-il. Ensemble, ils créent SpotMe, un petit boîtier appelé à faciliter les rencontres. «LinkedIn et l’iPhone n’existaient pas, on a voulu créer un instrument de réseautage». Il lancera ensuite d’autres projets, avant d’être recruté par un fonds destiné à lancer des start-ups.
En 2008, il obtient la nationalité suisse. «Ce processus de naturalisation a vraiment été une étape importante. Je me sentais déjà tellement lausannois qu’il fallait que je le devienne officiellement et, dans la foulée, que je devienne un citoyen suisse».
Pour se préparer à répondre aux questions qui lui seront posées à cette occasion, lui vient l’idée de concevoir un jeu en bois qu’il nomme Helvetiq. «J’avais envie d’avoir un objet concret pour célébrer ce passage», raconte-t-il. «C’était aussi une manière de vulgariser et de rendre ludique le savoir que j’avais acquis.» L’idée de créer une société portant le nom d’Helvetiq se fera dans la foulée.
La même année, il quitte toutefois Lausanne pour s’installer à Boston, où son épouse va travailler sur un projet de recherche lié aux neurosciences. Lui œuvre dans la technologie puis, à plein temps et en ligne, pour développer Helvetiq.
Cinq ans plus tard, en 2013, sa femme obtient un poste de professeur au Danemak. Toute la famille y déménage, puis revient en Suisse deux ans plus tard. A son retour, Helvetiq a pris de l’ampleur. En plus de Lausanne, Hadi Barkat ouvre un nouvel espace de travail à Bâle. De nouveaux collègues sont engagés. L’entreprise continue d’éditer des jeux de société, mais publie aussi des documentaires de voyage, des ouvrages pour la jeunesse et des romans graphiques.
Depuis peu, elle s’est attaquée au marché américain après avoir signé un contrat de distribution et de diffusion avec Consortium, un acteur majeur du secteur de l’édition. Un sacré défi puisque la traduction et la relecture des ouvrages qui seront livrés à Consortium, et qui porteront le label Helvetiq, seront assurées par sa propre équipe.  
Amérique du Nord
Après avoir publié près de 200 livres et 95 jeux, Helvetiq va ainsi commercialiser 10 à 15 titres par année aux Etats-Unis et au Canada anglophone. Parmi les premiers, l’adaptation en roman graphique de «Derborence» de Fabian Menor et «The Global Campaign for Women’s Voting Rights» de la journaliste lausannoise Caroline Stevan. A venir encore, un titre d’une autre Lausannoise, Lisa Voisard, à qui l’on doit «Ornithorama» et «Arborama». Quand on demande à Hadi Barkat ce qui le fait avancer, il prend le temps de la réflexion: «J’ai toujours eu envie d’ouverture et la volonté de la partager avec le plus de monde possible. Je suis un rêveur en marchant, c’est sans doute ce qui me pousse à toujours vouloir découvrir de nouveaux horizons.»