La gauche ne fait plus de politique mais de la morale

COMBATS • La gauche s’est éloignée de ses racines. Elle ne s’intéresse plus au social. Elle ne pense qu’au «sociétal». Jamais aussi jouissante que lorsqu’elle peut guetter un dérapage, dénoncer, instruire un procès.

  • Aujourd’hui, la gauche ne se bat plus pour l’amélioration des conditions de travail. 123RF

    Aujourd’hui, la gauche ne se bat plus pour l’amélioration des conditions de travail. 123RF

Je ne suis pas un homme de gauche, vous l’avez compris. Pourtant, j’ai toujours respecté la gauche, lorsqu’elle se battait pour l’amélioration des conditions de vie. Combat social, pour la dignité dans le monde du travail, la décence des salaires, le respect des ouvriers, l’accès de tous à l’instruction, aux services de santé, aux sports, aux loisirs.

J’ai toujours respecté les socialistes, quand ils s’inscrivaient dans cette démarche-là, et tout autant les communistes: ceux de chez nous, les gens du Parti du Travail, ou les militants du PC français, ou ceux d’Italie. Je n’étais pas d’accord avec ces gens, mais c’était juste une question de curseur: je voulais moins d’Etat qu’eux, moins d’impôts.

L’aventure de l’AVS

Divergences, donc. Mais au fond, nous parlions le même langage. Zola, ça me parle, Jaurès encore plus. La Révolution industrielle, le travail des enfants dans les mines, les combats pour la dignité, les premières conventions collectives (sous Bismarck, déjà!). Puis le vingtième, le siècle des assurances sociales: en France, la Sécu, en 45; en Suisse, la fantastique aventure de l’AVS (47-48); en Grande-Bretagne, les lois travaillistes de l’après-guerre; en Allemagne, l’immense figure de Willy Brandt, l’homme qui s’est agenouillé, en décembre 1970, devant le Monument du Ghetto de Varsovie.

Oui, toute ma vie, j’ai eu, à côté d’autres, des figures de gauche dans mon Panthéon politique. Et le de Gaulle que j’admire est celui des grandes lois sociales de la Libération, de la décolonisation, de l’indépendance algérienne.

Abandon du monde ouvrier

Mais tout ça, aujourd’hui, c’est fini. Pourquoi? Parce que la gauche (à l’exception des communistes, mais combien sont-ils?) a totalement abandonné le monde ouvrier. Au lieu de faire de la politique, elle fait de la morale. Elle se gargarise de la novlangue des climatistes ou des ultra-féministes. Elle nous inonde de théorie du genre.

Elle se prosterne devant la première mode «sociétale», surgie de tel campus américain ou des élucubrations de tel «chercheur en sciences sociales à l’Université de Lausanne», catégorie devenue reine sur nos ondes publiques, pour commenter le tout et le rien, le plein et le vide, l’ombre et la lumière.

La gauche d’aujourd’hui guette le moindre de vos propos, toute de jouissance à l’idée de vous prendre en défaut de «dérapage». A l’idée de vous instruire un procès, sur des questions de genre, de couleur de la peau, d’interprétation de l’Histoire, elle confine à l’extase.

Notre gauche morale, sa grande aventure, la plus sensuelle, la plus accomplie, c’est d’organiser des procès en sorcellerie, où elle n’en peut plus de tenir le rôle du procureur. Ah, déjà le bûcher, déjà la potence, déjà les premières flammes. Les chômeurs? Les plus précaires d’entre nous? Les oubliés? Les travailleurs pauvres? Elle s’en occupera plus tard! D’abord, se ruer sur les modes, prendre la posture.

Cette gauche-là, je n’ai rien à lui dire. Juste faire la guerre. Elle est culturelle. Elle sera sans merci.