La générosité suspecte de quinze roitelets

FINANCES • Les crédits supplémentaires, ça vous dit quelque chose? Description d’un mécanisme où quinze députés font la pluie et le beau temps. Et où le refus du budget, en décembre précédent, est court-circuité, voire ridiculisé.

  • La commission des finances a le pouvoir d’octroyer des «crédits supplémentaires». GHI/123RF

L’argent de l’Etat, c’est l’argent du peuple. Notre argent. Ceux d’entre nous, tout au moins, qui sont soumis à l’impôt: on sait que plus d’un tiers des résidents genevois n’en payent pas, étant sous le seuil pour y être astreints. Oui, c’est notre argent, à commencer par celui des classes moyennes, vous savez ces gens qui se lèvent le matin pour aller bosser, n’ont droit à aucune subvention, sont littéralement pompés par la machine fiscale, triment toute leur vie pour aboutir à une retraite souvent chétive. C’est cela, le lot de dizaines de milliers de personnes à Genève. Cela, dont la gauche ne parle jamais: à la précarité des nôtres, elle préfère le discours sur l’altérité, les modes sociétales, la consommation de viande, la fin du monde.

Etat irresponsable

Donc, nous payons l’impôt. Plus que partout ailleurs en Suisse. Pour nourrir un Etat cantonal dont la dépense publique par habitant est la plus haute du pays. Cette dépense est régie par un document capital, voté chaque année en décembre (pour l’année suivante) par le Grand Conseil, qui s’appelle un budget. Tout responsable familial, tout petit entrepreneur, même d’une micro-boîte, sait ce qu’est un budget: on détermine les postes de dépenses, en fonction de ce qu’on possède. A l’Etat, c’est autre chose. On n’a pas les fonds? Pas de problème! On en réclame, et on en réclame encore.

Un hallucinant pouvoir

En décembre de l’an dernier, le Grand Conseil a refusé de donner un budget à Genève. La droite a délivré un signal d’économies et de rigueur. L’Etat doit fonctionner, en 2022, avec les «douzièmes provisoires», qui imposent une gestion prudente, respectueuse des deniers publics.

Et c’est là qu’intervient le scandale des quinze roitelets. Qui sont-ils? Les membres de la commission des finances du Grand Conseil. Oh, individuellement, des gens très bien, respectables. Mais disposant d’un hallucinant pouvoir, peu connu du grand public: celui d’octroyer (eux, les quinze, sans passer par le plénum, encore moins par le peuple) les ineffables «crédits supplémentaires» que ne manquent pas de leur mendier, à longueur d’année, les sept Départements d’un exécutif d’une gourmandise financière inimaginable, le moindre de leurs appétits n’étant pas celui de la revanche, après le refus du budget en décembre.

Grande hypocrisie

La commission des finances a un mérite: celui d’informer. Chaque acceptation de crédit supplémentaire fait l’objet d’un communiqué. C’est bien. Mais le fond est souvent écœurant, vu par un simple citoyen-contribuable: à quoi sert le refus du budget, acte politique majeur, si c’est pour que l’Etat vienne incessamment se servir, par-derrière, tout au long de l’année? Et nos braves roitelets, les quinze, dans l’écrasante majorité des cas, les acceptent, ces crédits! Le système de la barbichette: si tu refuses les sous pour le magistrat de mon parti, la prochaine fois, je refuserai pour le tien. Et la grande hypocrisie perdure: la décision souveraine, en plénum, du refus du budget, est régulièrement court-circuitée, a posteriori, par un procédé opaque et consanguin. Cette pantalonnade ne peut plus durer. Le système doit être réformé. La démocratie, la transparence, doivent s’imposer.