La face cachée du luxe

POLéMIQUE • L’univers du luxe est passé de l’exclusif à l’universel. Le journaliste économique Fabio Bonavita* révèle les dessous de cette métamorphose et dévoile la face cachée d’un monde opaque basé sur le mensonge et la rentabilité. Interview.

  • Le journaliste Fabio Bonavita mène l’enquête et publie un livre édifiant.DR

    Le journaliste Fabio Bonavita mène l’enquête et publie un livre édifiant.DR

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    Le journaliste Fabio Bonavita mène l’enquête et publie un livre édifiant.DR

– GHI: Dans votre ouvrage, écrit au terme d’une enquête menée dans une quinzaine de pays, vous arrivez à un constat: le luxe, le vrai, l’exclusif, n’existe pratiquement plus. Il a fait place au luxe industriel…

– Fabio Bonavita: C’est exact, un certain luxe est mort, tué par la voracité des grands groupes (LVMH, Richemont et Kering) cotés en bourse et dont la seule recherche est celle du profit et non du beau geste de l’artisan. Ce luxe industriel n’a plus aucun intérêt, il fait juste rêver une partie des classes moyennes qui espère prendre l’ascenseur social en s’affichant avec un sac ou une paire d’escarpins griffés.

– Autrement dit, le luxe a perdu son identité…

– Oui, une partie de ce secteur est victime de ce que je nomme les 3D: démocratisation, diversification et délocalisation. A force de vouloir vendre au plus grand nombre et à moindre coût, on perd de vue sa mission principale: fabriquer des produits artisanaux exceptionnels. Ce constat est aussi valable dans le luxe d’expérience (gastronomie, hôtellerie, voyages) que je traite aussi dans mon essai.

☺– A quand remonte ce changement ou cette évolution?

– A la fin des années 80. C’est Bernard Arnault en tête, le propriétaire du groupe LVMH, qui fait un constat très simple. Au lieu de vendre des produits très chers aux personnes fortunées, il est beaucoup plus rentable de vendre des sacs, des ceintures, ou des parfums à la classe moyenne. On élargit ainsi la clientèle tout en maximisant ses marges. C’est le grand tournant.

– Derrière, il y a des grands groupes qui demeurent opaques quand il s’agit de communiquer sur cet aspect des choses?

– C’est évident, dès qu’il s’agit de parler d’autre chose que de leurs produits, ces multinationales se referment et ne communiquent plus. C’était tout le défi de mon enquête, forcer les portes afin de découvrir l’envers du décor.

– Dans ce magma qui vise le profit à outrance, existe-t-il encore des vrais représentants du luxe traditionnel?

– Oui, heureusement. Je donne de nombreux exemples dans mon livre, ce sont ceux que j’appelle «les rescapés du luxe». Je peux notamment vous citer le chef Bernard Ravet à Vufflens-le-Château (VD) et la maison horlogère genevoise MB&F.

– Comment voyez-vous l’évolution de ce secteur à terme?

– Si le luxe industrialisé des grands groupes continue sur la même voie, il va droit dans le mur. Pour espérer prospérer, il doit revenir à ses fondamentaux en misant sur la qualité et sur l’artisanat européen. Ces géants du luxe doivent aussi apprendre à communiquer, les clients ne sont plus dupes.

* Fabio Bonavita est collaborateur régulier de GHI.

«Qui a tué le luxe?», éditions Slatkine