L’allemand, l’italien, pas l’anglais!

LANGUE • Se gaver de mots anglais, c’est afficher sa soumission à un certain ordre du monde. La colonisation, ça passe par la langue. Nous, Romands, avons mieux à faire que nous prosterner devant les codes de l’Oncle Sam.

  • Pourquoi, à Genève, devrait-on se plier à l’usage de mots anglophones? 123RF

    Pourquoi, à Genève, devrait-on se plier à l’usage de mots anglophones? 123RF

D’abord, tordons le cou à la langue anglaise: elle ne mérite que cela. En quel honneur nous, à Genève, Canton membre de la Suisse, pays où l’on parle quatre merveilleuses langues (l’allemand, le français, l’italien, le romanche), aurions-nous à nous plier à l’usage de mots anglophones? On parle anglais en Angleterre, aux Etats-Unis, dans pas mal de pays certes, mais enfin nous sommes ici au cœur d’une Europe continentale dont nous ont façonnés deux mille ans d’Histoire. Nous sommes au carrefour des mondes latins et germaniques.

Chaque Suisse romand devrait, en plus du français, parler couramment l’allemand et l’italien. Pourquoi ce culte de l’anglais? Pourquoi, sinon par génuflexion, depuis 1945, face à la toute-puissance des Etats-Unis d’Amérique, son impérialisme? Les réseaux de domination, de colonisation des esprits, ça passe par la langue. Que le dominant essaye, c’est ma foi son rôle. Qu’un petit pays neutre, libre et souverain, comme la Suisse, se prête au rôle du dominé, n’est pas digne de notre ambition nationale.

Tenez, il suffit qu’un type me parle de «start-up» pour que je voie rouge. D’abord, sur le fond: à quoi rime cette valorisation de la seule naissance, alors qu’une entreprise doit justement être jugée sur sa capacité à durer, de longues années, ayant conquis les cœurs et les confiances, l’estime de ses partenaires. C’est le fruit d’un long travail, recommencé, sacrificiel, à des années-lumière des éphémères cocktails.

«Jeune pousse»

Et puis, pourquoi l’anglais? On pourrait, que sais-je, parler de «jeune pousse», ça passe bien, c’est court, imagé, facile à dire. Mais non, dans ces ineffables années 90 où régnaient le prétendu triomphe définitif du capitalisme (après la chute du Mur), des sottises comme «la fin de l’Histoire», l’argent facile, les flux spéculatifs mondialisés, la religion du boursicotage, il a fallu gonfler la cuistrerie ambiante jusqu’à désigner d’un mot anglais une entreprise n’ayant pour seule vertu que d’être à peine née. La plupart étant d’ailleurs, on l’a vu, mort-nées avant que d’être, mais c’est sans doute un détail.

Soumission colonisée

Car la plupart ne survivent pas. On en aura juste parlé au début, pour faire mode, réunir des capitaux, éblouir la galerie, échanger des mots anglais devant une coupe de champagne. Moi, je condamne le mot «start-up», je condamne la vanité prématurée de ce qu’il désigne, je condamne la soumission colonisée de ceux qui nous imposent la langue anglaise, avec leurs costards-cravates, leur code de dressage vestimentaire, leurs fantasmes de l’Ouest, sans avoir le centième du génie d’un Kafka, au début de L’Amérique, ou d’un Cassavetes, en amorce du film Gloria, lorsqu’ils nous décrivent les splendeurs d’une entrée dans la Jérusalem céleste appelée New York. L’Ouest oui, mais transfiguré.

Je nous invite tous à parler allemand (vous connaissez mon tropisme pour cette langue), mais aussi italien. Lire Thomas Mann, Hölderlin, ou les saisissants poèmes du cinéaste Pasolini. Je nous invite tous à aimer notre Europe continentale, lire le grec, ancien et moderne. Ne pas craindre l’archaïsme. Fuir la langue des dominants. Et de leurs complices.