Le feu couve chez les sapeurs-pompiers

EXCLUSIF • Une lettre confidentielle envoyée au magistrat Guillaume Barazzone dénonce une situation alarmante pour la population et le personnel du Service d’incendie et de secours.

Grave manque d’effectifs, horaires éreintants, dégradation alarmante des conditions de sécurité du personnel et de la population, stress, fatigue, surcharge de travail, tensions... Le Service d’incendie et de secours (SIS) de la Ville de Genève tire la sonnette d’alarme. Secret de fonction oblige, il le fait par une lettre confidentielle – que «GHI» a pu se procurer –, envoyée mi-septembre au magistrat de tutelle Guillaume Barazzone. Sans mâcher ses mots, celle-ci dénonce une situation jugée très préoccupante. «Le SIS intervient dans des conditions inadmissibles tant pour la population que pour les intervenants», dénonce notamment la missive. Ainsi, en 2015, seulement 60% des interventions ont été réalisées dans les délais recommandés par la Coordination suisse des sapeurs-pompiers. Soit dans les dix minutes en zone urbaine et quinze minutes en zone périurbaine. Or tous les pompiers le savent, plus le temps d’intervention est long et plus les chances de sauver des vies sont nulles. 

Au total, depuis le début de l’année, ce sont près de 13’200 heures supplémentaires qui ont été payées. Cette surcharge horaire en dit long sur le manque chronique de personnel ou le travail accompli sans un filet sécuritaire suffisant. Pire, comme les effectifs diminuent de moitié la nuit, certains soirs de forte activité, il n’y a plus de pompiers actifs dans les casernes. Autant dire que ça chauffe dangereusement dans les rangs du SIS. D’autant que pour assurer la sécurité, la hiérarchie est contrainte de faire appel aux hommes et femmes au repos, alors que ceux-ci enchaînent déjà des gardes de 24 heures consécutives. Pour mémoire, l’horaire d’un pompier se monte à 51,25 heures par semaine. 

Risque opérationnel

Et ce n’est pas tout. Malgré les efforts déployés, le SIS n’a que rarement l’effectif nécessaire pour garantir les secours lorsque deux appels d’urgence de moyenne importance retentissement simultanément. Comme cela a été notamment le cas le 13 juin. Ce jour-là, un arbre obstruait la route à Troinex, alors qu’un incendie embrasait un commerce à Vernier et qu’un feu d’appartement se déclarait en Ville de Genève. Difficile alors d’agir efficacement sur tous les fronts. Rebelote, avec d’autres sinistres, les 7 juillet et 8 août pendant les Fêtes de Genève. De quoi retarder de quelques longues minutes le grand feu d’artifice. Et, surtout, s’inquiéter sérieusement pour la mission d’un corps dont l’organisation date encore des années 70 et qui se retrouve, l’année de son 175e anniversaire, avec des effectifs complètement inadaptés pour répondre aux 6000 interventions par année et aux exigences du terrain d’un corps de sapeurs-pompiers moderne. n

G. Barazzone: «situation intenable»

GiM • Selon Guillaume Barazzone, magistrat en charge du Service incendie et secours (SIS) à la Ville de Genève, «la situation n’est plus tenable. Nous devons renforcer la sécurité de la population. L’augmentation des effectifs est une nécessité. La création de 25 postes de pompiers supplémentaires, votée le 6 octobre par le Municipal, ainsi que le crédit pour aménager les casernes du Vieux-Billard, des Asters et de Frontenex, ne constituent qu’une première étape prévue par le futur concept opérationnel cantonal qui définira les effectifs à l’horizon 2030. Ces 25 collaborateurs permettront déjà d’exploiter jour et nuit les casernes de Frontenex et des Asters. Les sapeurs-pompiers gagneront du temps pour leurs interventions en Ville, mais surtout dans les autres communes. Tout le monde en profitera. Il est très important aussi d’anticiper les nouveaux risques comme l’arrivée du CEVA et ses plus de 7 kilomètres de tunnels ainsi que la densification de nouveaux quartiers comme le PAV». Une position partagée par Maria Pérez, élue d’Ensemble à Gauche: «Il faut donner les moyens au SIS et, surtout, en voter les budgets. On peut aussi se demander ce qui a conduit à cette situation d’extrême urgence. Ce manque structurel est symptomatique des attaques du service public opérées par une droite qui joue parfois les pompiers-pyromanes.»