«Je comprends la frustration des policiers»

POLICE GENEVOISE • Sanctionnés pour de gros excès de vitesse lors de courses-poursuites, des policiers accusent la justice et le procureur général. Olivier Jornot réagit.

  • Olivier Jornot: «La loi fixe des limites aux courses-poursuites pour protéger les tiers.» CHRISTIAN BONZON

    Olivier Jornot: «La loi fixe des limites aux courses-poursuites pour protéger les tiers.» CHRISTIAN BONZON

La polémique enfle depuis quelques semaines à Genève. Sanctionnés pour de gros excès de vitesse lors de courses-poursuites, des policiers dénoncent la difficulté de mener à bien leur mission. La faute, selon eux, au procureur général et à la justice en général. GHI fait le point avec Olivier Jornot.

GHI: Vous n’aimez pas la police, Monsieur le procureur général?

Olivier Jornot: Nous ne sommes pas dans le «J’aime ou j’aime pas». Evidemment que le Ministère public a besoin de la police, apprécie son travail et la soutient! Cela dit, j’ai la responsabilité de faire appliquer la loi, qui fixe des limites aux courses-poursuites, pour protéger les tiers.

– La loi sur la circulation routière (LCR) s’est-elle durcie envers les forces de l’ordre? Un agent vient de se voir infliger un an de prison avec sursis pour avoir roulé à 126 km/h sur un tronçon limité, il est vrai, à 50 km/h.

– C’est le contraire, la loi a été assouplie en 2016. Mais depuis toujours, la LCR accorde des privilèges aux «feux bleus». La loi dit aussi que ces derniers doivent faire une pesée d’intérêts entre le but de la poursuite et le danger créé. En d’autres termes, le législateur ne veut pas que la vie des autres usagers de la route, par exemple des enfants, piétons ou cyclistes, soit mise en danger par un policier qui veut à tout prix attraper un cambrioleur.

– Des policiers dénoncent «une situation schizophrénique», d’autres craignent de ne plus pouvoir faire leur travail…

– L’immense majorité des policiers connaît et respecte les règles, que l’on évoque l’ordre de la commandante de la police genevoise, Monica Bonfanti, ou mon ordre général relatif aux courses officielles urgentes. La plupart des cas d’excès de vitesse de policiers s’arrêtent au niveau du service des contraventions. Pour les dépassements plus importants, la hiérarchie de la police me transmet un rapport avec sa prise de position et la description des circonstances. J’examine les cas et dans plus de 90% des cas, je mets immédiatement fin à la procédure.

– Enorme!

– J’ajoute que seuls les cas les plus graves sont transmis à l’Inspection générale des services qui approfondit l’enquête. A partir de là, en cas de défaut de proportionnalité avéré, le policier reçoit une ordonnance pénale ou, dans les cas les plus graves, est renvoyé devant un tribunal. Ces cas sont heureusement très rares.

– Il n’y a donc pas d’augmentation des cas de sanctions pour excès de vitesse?

– Aucune. Les deux affaires évoquées ces jours par la presse remontent à 2015 et 2017… Je comprends parfaitement qu’il soit difficile et frustrant, pour un policier poursuivant l’auteur d’une infraction, de dire «je laisse tomber». Mais on attend du policier du sang froid. Gagner un petit peu de temps ne justifie pas toujours la mise en danger des autres usagers de la route, pour reprendre l’expression du Tribunal fédéral, qui m’a d’ailleurs récemment reproché d’être trop souple!

– Le conseiller national PLR Christian Lüscher veut changer la LCR et le conseiller national MCG Roger Golay souhaite qu’aucune sanction ne soit prise envers un policier sauf en cas d’accident. Que leur répondez-vous?

– Il ne m’appartient pas de leur répondre, puisque les questions qu’ils abordent sont de nature politique. Mais pour ma part, j’assume parfaitement le risque qu’un délinquant échappe à la police, si cela permet d’éviter un drame. Et je souligne que le respect de la loi sur la circulation routière par l’immense majorité des policiers ne les a jamais empêchés de faire leur travail.