«Les panneaux inclusifs sont illégaux»

Selon une élue PLR de la Ville de Genève, l’installation en janvier de 250 panneaux féminisant l’espace urbain ne respecte pas les règles en vigueur. Ce que nous confirme une avocate. La conseillère municipale exige leur retrait. Explications.

  • Sur le boulevard Saint-Georges. Des panneaux qui suscitent la polémique. FRANCIS HALLER

    Sur le boulevard Saint-Georges. Des panneaux qui suscitent la polémique. FRANCIS HALLER

Mener un combat, fut-il juste et dans l’air du temps, dispense-t-il de respecter la loi? L’ancien exécutif de la Ville de Genève et le Département des infrastructures (DI) laissent penser que «oui». Dans le cadre de leur projet de «féminisation inclusive» de 250 panneaux de circulation, concrétisé en janvier, les autorités n’ont pas sollicité d’autorisation auprès de l’Office fédéral des routes (Ofrou), la seule instance susceptible de donner son aval à un tel changement signalétique. «Nous avons été mis devant le fait accompli», confirme son porte-parole Guido Bielmann.

«Exception tolérable»?

Pour mémoire, les nouveaux panneaux «genrés», représentant tour à tour une femme enceinte, une vieille dame, un couple de femmes, une femme en surpoids, une autre à la coiffure afro ou un homme avec une canne, avaient suscité la polémique et fait parler d’eux jusqu’à l’étranger. Certains déploraient le «gaspillage» d’au moins 56’000 francs d’argent public dans ce projet «idéologiquement correct». D’autres estimaient qu’il favorisait au contraire une meilleure «inclusion» des femmes dans l’espace public. Le débat reste vif et ouvert. Salutaire ou pas, clivant ou rassembleur, il soulève une autre question de taille: la pose de ces panneaux est-elle légale? La conseillère municipale PLR Michèle Roullet s’en est inquiétée la première lors des séances plénières du Conseil municipal. Sans succès. Et cela bien que l’action de la Ville, menée en accord avec l’Office cantonal des transports, soit contraire à l’ordonnance fédérale sur la signalisation routière. Ce que corrobore Guido Bielmann. «D’après ce texte référence, il n’est théoriquement pas possible de modifier un panneau existant.»

Selon le penseur politique français Montesquieu, il y a la loi et l’esprit de la loi, qui devrait prédominer sur elle. L’esprit de l’ordonnance précitée est de ne pas susciter d’incompréhension chez les usagers. Or ces panneaux n’en engendreraient pas, à en croire Guido Bielmann qui parle donc d’«exception tolérable». Assurant avoir vu des touristes étrangers hésiter devant ces panneaux avant de traverser, Michèle Roullet est convaincue du contraire.

«Questions ultrasensibles…»

D’après Guido Bielmann et selon Roland Godel, porte-parole du DI, les panneaux respectent la Convention de Vienne sur la circulation routière, signée par la Suisse en 1992, et qui stipule qu’un signal routier doit être compris immédiatement par tous. C’est en réalité une interprétation incomplète puisque ladite convention indique aussi que «lorsqu’un signal, un symbole ou une marque pour signifier une prescription ou une information aux usagers de la route sont définis dans la convention, les signataires s’interdisent d’employer un autre signal».

Autrement dit, «ces panneaux sont bel et bien illégaux», plaide l’avocate romande Me Véronique Fontana, après s’être penchée sur ces textes. «Il faut retirer les panneaux sous peine de créer un précédent. Nul n’est censé ignorer la loi et encore moins passer au-dessus», appuie Michèle Roullet. L’élue municipale projette de déposer une proposition de résolution pour revenir sur ce «projet illégal qui divise plus qu’il ne rassemble».

L’Ofrou serait aussi en droit d’exiger le retrait des panneaux, mais ne le fera sans doute pas. «Les questions de genre sont ultra-sensibles», confie un fonctionnaire à Berne. Avant de conclure: «S’opposer à la pose de ces panneaux aurait pu en faire fleurir de pareils ailleurs… Si toutes les villes adoptaient leur propre signalisation, ce serait l’anarchie! Reste que si un accident survient du fait d’une incompréhension des panneaux, la faute retombera sur la Ville.»

«Pas d’incidence sur la sécurité routière»

Pourquoi la féminisation des 250 panneaux n’a-t-elle pas fait l’objet d’une demande d’autorisation auprès de l’Office fédéral des routes (Ofrou)? «Car ni l’Office cantonal des transports (OCT), ni l’état-major de la police cantonale n’ont eu de doute sur le fait que ces panneaux pouvaient avoir une incidence sur la sécurité routière, répond Anne Bonvin Bonfanti, conseillère de direction en charge de la communication au Département des finances, de l’environnement et du logement (DFEL) de la Ville de Genève. Tous deux considèrent les nouveaux panneaux comme ressemblant toujours à celui de type 4.11 officiel. Et la chargée de communication de préciser que «des villes, notamment en Suède, ont eu le même type de démarche sans que cela pose problème».