L’école et les chemins de l’autre vie

L’enseignement n’est pas une science, mais un art. Il exige du talent, des dispositions d’âme pour la transmission. Les profs n’ont pas besoin d’apparatchiks autour d’eux. Mais de sentir notre amitié. Et notre confiance.

  • A l’enseignant le bonheur de transmettre et pour les élèves celui d’apprendre. 123RF/DOLGACHOV

    A l’enseignant le bonheur de transmettre et pour les élèves celui d’apprendre. 123RF/DOLGACHOV

L’école est l’une des plus belles choses du monde. L’une des plus enthousiasmantes constructions collectives pour nos sociétés, depuis la Révolution française. L’idée même de réunir les enfants, puis les adolescents, en un même lieu, loin de leurs familles quelques heures par jour, pour les initier au savoir du monde, est l’une des plus vivifiantes que l’humanité ait inventées. Dans notre histoire européenne, elle est récente: il y avait certes une école dans l’Athènes du Ve siècle avant J.-.C, une école à l’époque romaine, République puis Empire, mais c’était pour les hautes sphères!

Beau projet

Au fond, jusqu’à la Révolution, et même encore après, alors disons jusqu’à l’homme d’Etat Jules Ferry en France, avec ses nombreux équivalents en Suisse, souvent radicaux, la plupart des enfants n’allaient pas à l’école: ils travaillaient aux champs, ils aidaient leurs parents, ils trimaient à l’usine, et même dans les mines, en pleine Révolution industrielle. Jean Jaurès, le grand socialiste français, n’est pas venu pour rien: ce monde-là, celui des écrivains Emile Zola, Charles Dickens, était le sien.

Alors l’école, oui! L’école de toutes nos forces, l’école du fond du cœur! Si quelque chose, dans nos sociétés, ces deux derniers siècles, mérite qu’on l’admire, c’est cette immense entreprise de transmettre à nos enfants ce qui nous semble indispensable. Ce projet est beau, parce qu’il nous survit. Il prend date avec un avenir que nous ne connaîtrons pas. Il nous installe dans une postérité dont nous n’avons aucune idée, alors nous laissons nos enfants y pénétrer, après nous, munis de ce viatique, cette nourriture terrestre et spirituelle qui s’en va cheminer au-delà de nos propres vies. Nos parents, nos ancêtres, l’avaient déjà fait avec nous, en nous envoyant à l’école.

Une joie, un sanctuaire privilégié

A Genève comme ailleurs, l’école a besoin qu’on lui rende souffle et vie. Je ne vous parle pas ici de programmes, ni de branches à privilégier, par rapport à d’autres, cela n’est pas l’essentiel. Non, il faut restaurer le bonheur de transmettre, et pour les élèves celui d’apprendre. L’école doit être une joie, un sanctuaire privilégié, un promontoire d’où l’on puisse, au début de sa vie, observer le monde, sans encore participer à ses affaires. C’est cela qui compte, et non savoir s’il faut une heure hebdomadaire de mathématiques en plus ou en moins.

L’école doit être livrée aux enthousiastes, à ceux qui sont doués dans l’art d’enseigner, qui ne relève en rien d’une science (j’écris cela à Genève, j’assume ce risque), mais d’une impétueuse disposition d’âme, dans l’ordre des choses de l’esprit et de la transmission. Il nous faut une école avec des maîtres, au sens où l’entendait si merveilleusement Charles Péguy dans les Cahiers de la Quinzaine (L’Argent, 1913): des hommes et des femmes dont on se souvient toute la vie, tant ils nous ont marqués. Parce qu’ils nous ont passé un témoin. Un père, une mère, donne la vie. Un maître nous ouvre les chemins de l’autre vie.