Lame de fond protestataire

VOTATIONS • Les cartes électorales nous en disent plus long, en un clin d’œil, que des tonnes de discours. Regardez celle du 8 mars: le canton est coupé en deux. Traversé, dans les villes suburbaines, par l’axe du vote contestataire.

  • Une carte éloquente, qui en dit long sur le mécontentement populaire face aux autorités. DR

    Une carte éloquente, qui en dit long sur le mécontentement populaire face aux autorités. DR

«Ce gouvernement n’est déjà plus capable de réunir»

Pascal Décaillet

Modifié ou non par le recomptage, le message qui compte est donné, celui-là ne changera pas: un votant sur deux, dans l’affaire de la loi sur la police (LPol), a dit le dimanche 8 mars sa défiance face à Pierre Maudet. Face au Conseil d’Etat. Face à la majorité du Parlement qui avait voté cette loi. C’est cela, l’essentiel à retenir de cette votation: ce gouvernement, encore en début de législature, n’est déjà plus capable de réunir, sur un sujet dans lequel il engage avec ardeur son autorité, plus d’un Genevois sur deux. En comparaison de cela, les histoires de silos et de réformes internes contenues dans la loi sur la police ne sont que d’un intérêt mineur.

Equation personnelle

Pierre Maudet, en mettant en avant sa personne, en allant quérir le plébiscite, doit accepter sans rechigner l’effet boomerang: un électeur sur deux rejette sa loi. Non seulement ça n’est pas un plébiscite, Sire, mais ça pourrait bien commencer à ressembler à un désaveu. Au cas où quelqu’un serait amené à douter de cette appropriation de la loi par le ministre, ou à nous mener en bateau sur ce sujet, comme certains ont tenté de le faire au soir du 8 mars, prenez juste ce propos, prononcé par le conseiller d’Etat dimanche 22 février dans le Grand Genève à chaud (Léman Bleu), lors du débat face à Roger Golay: «Cette loi, c’est moi qui l’ai écrite, en tout cas dans ses tout premiers articles». S’il n’y a pas là l’expression puissante d’une équation personnelle, alors, il faudra venir nous expliquer, de zéro, la rhétorique et la politique.

Dernière photographie

Le vote du 8 mars, c’est la dernière photographie, grandeur nature, de l’électorat genevois avant les municipales de ce printemps. Regardez la carte, elle est claire: les communes bourgeoises et tranquilles de notre belle campagne genevoise, celles que le murmure des Gueux ne vient pas trop déranger, bref nos braves communes PLR et PDC, acceptent la LPol. Mais la percée nord-sud des villes suburbaines peuplées, Lancy, Onex, Vernier, Meyrin, en enjambant le Rhône dans un axe qui coupe en deux la carte du canton, la rejettent sans appel. Plus de 60% de non à Vernier, 35’000 habitants, deuxième ville du canton, l’une des communes les plus peuplées de Suisse romande. Si l’on ajoute Perly-Certoux et Plan-les-Ouates, c’est une lame de fond qui coupe le canton en deux, du Salève jusqu’au Jura, de la Haute-Savoie jusqu’au Pays de Gex.

Mécontentement populaire

En Ville de Genève, les quartiers bourgeois, comme Champel ou Florissant, disent oui. Les quartiers populaires disent non: Prieuré-Sécheron, Vieusseux, Servette-Grand-Pré, Pâquis, Saint-Gervais, Acacias, Mail-Jonction, liste non-exhaustive. Face à l’éloquence de cette carte, commune par commune, arrondissement par arrondissement, on oublie bien vite la cause intrinsèque de la loi sur la police. Et on considère l’ampleur de ce qui est en train de se passer dans la politique genevoise: un authentique mécontentement populaire face aux autorités. Nous pourrions en avoir la confirmation lors de l’élection des Conseils municipaux, le 19 avril prochain.

Percée contestataire

Cette carte du 8 mars devrait avoir sa place dans les écoles. D’un coup d’œil, elle résume de façon saisissante la percée contestataire. Celle qui, ce printemps, pourrait se traduire dans d’autres urnes, celles des élections communales. L’avertissement est clair. Nous en saurons plus dans un peu plus d’un mois.