Le Conseil d’Etat roupille!

DECEPTION • Après un an et demi, seulement, d’une législature de cinq ans, le gouvernement genevois donne déjà l’impression de s’être assoupi. On attend vainement les initiatives. Elles ne viennent pas.

  • Pour sommeiller, c’est un peu tôt. ISTOCK/GMAST

    Pour sommeiller, c’est un peu tôt. ISTOCK/GMAST

«Dans le mouvement d’ensemble, quelque chose semble faire cruellement défaut»

Pascal Décaillet

A quoi sert un gouvernement? Réponse: à gouverner! Agir. Prendre des initiatives. Anticiper. Précéder. Lancer des offensives. Exister. Un Conseil de sept personnes ne peut se ramener à la seule juxtaposition de sept gestions départementales. Sinon, autant n’élire personne, renoncer au politique, laisser faire de hauts-fonctionnaires éclairés et compétents. Hélas, le Conseil d’Etat 2013-2018, cette fameuse équipe dont on nous promettait tant, avec des lendemains qui chantaient, un mandat de cinq ans (pour la première fois) qui ne ressemblerait à aucun autre, une présidence forte et cohérente, tout cela, oui tous ces rêves de campagne, s’évapore, s’évanouit. Le plus inquiétant, c’est que nous ne sommes pas en fin de mandat, au terme de lourdes fatigues. Non, nous n’avons même pas encore atteint le milieu de la législature. Pour sommeiller, c’est un peu tôt.

Composition tripolaire

Au début, on a pu mettre cette torpeur sur la composition tripolaire du Grand Conseil: peu habitué à raisonner en trois tiers pour dégager des majorités, le gouvernement aurait perdu du temps les premiers mois. Mais aujourd’hui, ça ne tient plus: le tripolaire, c’était du pipeau, on l’a vu majestueusement dimanche 14 juin avec le grand retour d’une droite économique dominatrice lors des votations, et le Conseil d’Etat ne donne guère d’indices de réveil. D’où vient sa timidité dans la manœuvre, comme s’il était apeuré, timoré? Il ne manque pourtant pas de belles personnalités, prises individuellement. Mais dans le mouvement d’ensemble, quelque chose semble cruellement faire défaut. On pense parfois au titre de ce fameux film Big Sleep (Le Grand Sommeil/1946), avec Humphrey Bogart et Lauren Bacall.

Montre arrêtée

C’est comme si une magnifique montre, luxueuse, fruit des fines fleurs de nos manufactures locales, était arrêtée. D’autant plus étonnant que le président du Conseil d’Etat, un homme précis avec soin du détail, présente justement des allures de Grand Horloger. Aurait-il égaré la formule? Ou peut-être, précisément, l’aspect trop sèchement gestionnaire, ou cadastral, de son tempérament, serait de nature à refroidir, chez certains de ses six collègues, la moindre pulsion offensive? Car enfin, il faudra sortir un jour (ou une nuit) de la tranchée, tenter une attaque, une percée, il y a bien sûr le risque d’échouer, mais c’est le jeu.

Regarder passer les trains

Tenez, un exemple. Les traditionnels communiqués du Conseil d’Etat, tous les mercredis après-midi, sont d’un tel vide qu’ils donnent juste envie de sauter par la fenêtre. Alignement de décisions, sans hiérarchie, commençant par la moins intéressante, aucune vision, aucune perspective. Et puis, il y a le domaine financier, nerf de la guerre, crucial, où le gouvernement commence à se laisser régulièrement doubler par une droite économique dopée par ses récentes victoires, et qui va, d’ici 2018, multiplier les initiatives. Elles viendront de la députation, c’est bien, au moins le Grand Conseil se bouge. Mais les ministres regardent passer les trains.

Remarquez, chef de gare, c’est un beau métier. Il y faut la passion de l’aiguillage, l’extase de la palette, la jouissance par la stridence du sifflet. C’est une option, après tout. Non?