Eh oui, la Ville est à droite!

MUNICIPAL • Les forces conjuguées de l’Entente et de la Nouvelle Force sont désormais majoritaires. Jusqu’en 2020. Problème: la gauche, en Ville, n’arrive pas à intégrer cette donnée. Minorisée, elle déserte le terrain politique, pour faire de la morale.

  • Le temps du changement: pas facile à accepter pour tout le monde. ISTOCK/STOCK SOLUTIONS

    Le temps du changement: pas facile à accepter pour tout le monde. ISTOCK/STOCK SOLUTIONS

«On espère que la gauche se ressaisira en faisant de la politique. Pas de la morale.»

Pascal Décaillet

Pendant vingt ans, en Ville de Genève, la gauche a eu le pouvoir. A l’exécutif (elle l’a toujours, quatre contre un), mais surtout au Conseil municipal. Lors de la dernière législature, 2011-2015, dans ce délibératif, c’était déjà plus compliqué. Maintenant, à partir du printemps dernier et jusqu’en 2020, la droite est majoritaire. L’Entente (PDC + PLR) et la Nouvelle Force (UDC + MCG), pour peu que tout ce beau monde veuille bien voter ensemble, ce qui est loin d’être évident, tant les majorités sont protéiformes. Mais enfin, disons que si elle le veut, la droite peut gagner des votes pendant cinq ans. Une réalité qui effraye qui? La gauche, bien sûr! Une gauche tellement installée dans deux décennies de confort et d’habitudes majoritaires qu’elle peine à prendre en compte la nouvelle donne: au Municipal, elle n’a plus le pouvoir.

Déni

Ce qui nous intéresse ici, c’est la très grande peine de la gauche à intégrer, intellectuellement, cérébralement, cette nouvelle réalité. C’est pourtant clair, mathématique: il suffit de faire une addition. Mais certains ont tellement blanchi sous le harnais, tellement pris les habitudes du pouvoir, pendant vingt ans, ils sont tellement dans leurs pantoufles, qu’ils ne peuvent qu’opposer un déni à la nouvelle configuration du pouvoir municipal. Prenez leurs déclarations, leurs écrits: ils s’expriment comme si la majorité de droite, 2015-2020, était une intruse. Une anomalie. L’enfant d’un péché. Le fruit d’un complot. Ils n’arrivent pas à intégrer qu’elle a été élue ce printemps par le peuple de la Ville de Genève, dans un scrutin parfaitement démocratique.

Leçons de morale

Prenez le vote sur l’Usine. Nous ne nous exprimerons pas ici sur le fond de l’affaire, mais sur la manière dont certains, à gauche, ont réagi à une décision parfaitement régulière du Conseil municipal. Comme le vote ne va pas dans leur sens (il faudra pourtant qu’ils s’y habituent, d’ici 2020), aussitôt ils s’empressent de noircir moralement la majorité, pourtant légitime, du Conseil qui a pris cette décision. Du coup, ils ne font plus de la politique, mais de la morale. Cette droite qui ose remettre en cause une subvention, voilà qu’on en fait un auxiliaire de la pire des brutalités. On la dépeint comme inculte, ignare, hostile au puissant génie de la «culture alternative». C’est tout juste si on ne dit pas, comme dans la fameuse formule, qu’elle nous sort son revolver. Le procédé est intéressant: ce que la gauche perd en pouvoir politique, par la volonté des électeurs, elle tente de le compenser en leçons morales. Cela se voit, comme un pachyderme dans une fosse d’orchestre: l’opinion publique n’est pas dupe. Les gens, en général, ne sont pas des idiots.

Manque d’habileté

Autre aveu de faiblesse: contester une décision du Municipal en tentant de la faire annuler par le Conseil d’Etat, autorité de surveillance des communes. Un peu comme des élèves, à la récré, qui font appel au surveillant pour arbitrer leurs bagarres. Là aussi, on compense: ce qu’on perd en influence politique, on tente de le regagner par la voie administrative. Mauvais signal. Manque d’habileté. Tout se passe comme si la gauche avait tellement perdu, pendant vingt ans, l’habitude d’être mise en minorité, que là, soudain, elle se trouvait totalement déboussolée. On espère qu’elle se ressaisira. En faisant de la politique. Pas de la morale.