Les amoureux du Bangkok d’il y a un demi-siècle ne reconnaissent plus ce qui les avait charmés. Là où défilaient les barques chargées de riz, primeurs, épices, volailles, poissons et orchidées s’engluent aujourd’hui des flots de taxis, camionnettes et autres tuk-tuks pétaradants. Là où les marchés flottants faisaient le bonheur des chasseurs d’images stressent aujourd’hui les touristes coincés dans une congestion quasi chronique. Les autochtones prennent leur mal en patience ou empruntent les performants métros aérien et souterrain, à l’abri de la touffeur polluée. Sait-on seulement que l’eau continue de circuler sous le bitume de la plupart des grandes artères? Parcourant cette fascinante Metropolis, on pourrait facilement n’en retenir que la surface: un décor de science-fiction, façon Blade Runner ou Gotham City. Une exploration plus attentive vient pourtant nuancer cette vision d’un skyline globalisé.
Chinatown, par exemple, fait figure de labyrinthe pittoresque, avec ses cantines à même le trottoir, commerces de bijoux et tissus en tous genres. Dans ce bric-à-brac, les fouineurs butinent d’une échoppe à l’autre, surtout le long de Sampeng Lane et sa transversale Itsaranuphap, les artères les plus frénétiques.
Au milieu coule une rivière
Plus large que la Seine à Paris, le fleuve Chao Praya sépare aussi Bangkok en deux. Il charrie des paquets d’herbages arrachés aux campagnes situées en amont et offre le spectacle coloré des barques à riz, ferries et bateaux-restaurants qui l’animent jour et nuit. De nombreux points d’intérêt bordant ses rives – palais, temples, hôtels de luxe –, les navettes constituent une intéressante alternative aux autres moyens de transport.
Qui souhaite s’immerger dans l’Asie éternelle prévoira cependant un détour par les klongs (canaux) adjacents, survivance d’un monde que le béton n’a pas (encore?) étouffé.
Version locale des gondoles vénitiennes, les barques à longue queue explorent ce territoire que l’on dirait rural, avec ses cabanons de bidonville – montés ou non sur pilotis – ses toitures de tôle ondulée, ses lessives étendues au fil de l’eau. Contrastant avec cette précarité, de coquettes demeures fleuries abritent quelque atelier d’artiste ou adresse prisée des routards.
Une femme en sarong rince sa vaisselle à même le canal où barbote une marmaille enjouée. On baisse les paupières pour fixer cette image, comme on le ferait au terme d’un chapitre de Joseph Conrad, Somerset Maugham ou Graham Greene. www.pichonvoyageur.ch