Et si on supprimait la Ville de Genève?

Des élus de droite mettent les pieds dans 
le plat: pour eux, 
le Canton devrait absorber la Municipalité. L'objectif serait de supprimer 
les nombreux «doublons» existants et améliorer 
les prestations. Evidemment, la gauche grince 
des dents.

  • Le projet de loi de l’UDC risque de provoquer un débat nourri au sein du parlement genevois. Photo MP

En agitant le landernau avec 
un projet de loi provocateur, l’UDC n’en soulève pas moins 
une question qui divise la 
République. A savoir quelle place donner à la Ville de Genève? 
Pour cela, le parti a lancé un texte proposant la fusion de la Ville et du Canton. Si le projet de loi a été refusé dans un premier temps en commission, les rapports de majorité 
et minorité seront déposés le 
31 octobre au Grand Conseil. 

«La Ville de Genève est devenue obèse. Aujourd’hui, c’est une sorte d’Etat dans l’Etat. Cette situation doit changer!», martèle le conseiller national UDC Yves Nidegger. Lassé par une place jugée démesurée de la Municipalité, l’élu genevois a lancé avec cinq camarades de parti un texte pour faire bouger les choses, en proposant purement et simplement la fusion de la Ville et du Canton, comme cela existe à Bâle Ville où les tâches dévolues à l’administration communale en Ville sont exécutées directement par le Canton.
Régulièrement débattue ces dernières décennies, notamment par la Constituante, cette question a jusqu’ici toujours été bloquée par des élus. Mais pas de quoi empêcher le parti agrarien de croire cette fois à une issue différente, en proposant que la mesure soit imposée par le Canton.
Trop grande taille
D’autant que les auteurs du texte ont de nombreux arguments. «Le problème n’est pas l’existence de la Ville de Genève en soi. C’est plutôt ce qu’elle est devenue. Avec sa trop grande taille, elle dérègle complètement notre système, en lui donnant une place qui écrase les autres communes, dont certaines comptent des dizaines de milliers d’habitants», estime Yves Niddeger. Ainsi, la mesure permettrait de rééquilibrer le poids octroyé aux différentes municipalités genevoises, en redécoupant, par exemple, la ville en plusieurs communes ou en circonscriptions, comme c’était le cas autre fois.
Autre avantage avancé: la suppression des nombreux «doublons» existants entre les deux administrations. «Le Canton est compétent en matière de cohésion sociale et de solidarité ou d’aménagement. Il n’est pas normal que ces départements existent aussi à l’échelon municipal. Rationaliser ces dépenses devrait permettre d’améliorer la qualité des services», considère l’élu UDC.
Enfin, une telle fusion permettrait également un meilleur équilibre au regard des contributions financières, estime Yves Niddeger. «L’argent tombe aujourd’hui dans les caisses de la Ville comme s’il pleuvait, notamment grâce aux propriétaires de la rue du Rhône. Pourtant, la plupart vote à Cologny, et non pas en Ville de Genève», constate l’élu de droite. En coulisses, certains députés s’étonnent également des montants des salaires confortables perçus par les conseillers administratifs, notamment au regard de ceux des Conseillers d’Etat. En effet, rien qu’en 2022, les magistrats municipaux ont été payés plus de 250'000 francs chacun, contre un salaire annuel de 265'000 pour leurs homologues cantonaux.
Nouvelle cartographie
Contacté, Murat-Julian Alder, député PLR, se réjouit du regain d’intérêt que suscite une fusion des deux administrations. Il est vrai que, membre actif de la Constituante, il avait esquissé l'idée d'une nouvelle cartographie du canton à 15 communes. «La loi sur la fusion des communes, adoptée en 2016, est restée jusqu’à présent lettre morte. Pourtant d’autres cantons suisses alémaniques ou latins comme le Tessin et Vaud ont réussi à réduire le nombre de communes sur leur territoire», relève le parlementaire.
Au-delà, il affirme que plusieurs questions se posent aujourd’hui: «un canton peut-il se permettre le luxe d’avoir 45 administrations communales avec un déséquilibre entre des communes de 1000 à 20'000 habitants? La taille critique d’une commune ne doit-elle pas se situer dans une fourchette de 20 à 40’000 habitants? N’y a-t-il pas enfin une nécessité d'éviter les doublons et d'endiguer les compétences que s’octroie la Ville de Genève?» Pour Murat-Julian Alder, le projet de loi UDC requerrait toutefois une double adhésion des habitants de la Ville et du Canton.
Député du Centre, Jean-Marc Guinchard rappelle que le projet, impliquant une modification de la constitution cantonale, priverait du droit de vote communal plus de la moitié de la population du canton – 270’000 habitants – qui ne pourrait voter que sur le plan cantonal.  «Et puis, un tel texte mobilise 15 députés et une procès-verbaliste durant plusieurs heures de séances engendrant ainsi des dépenses inutiles pour un projet inapplicable et mort-né», affirme encore l’élu centriste.
Fausse bonne idée
De l’autre côté de l’échiquier politique, la gauche voit ce projet d’un mauvais œil. A l’image du maire de Genève, Alfonso Gomez, qui l’assimile à une attaque contre la démocratie (lire encadré).
«C’est une fausse bonne idée, estime de son côté l’ancien conseiller d’Etat Robert Cramer. Avec cette suppression, on se retrouverait dans une situation où les gens qui habitent en Ville de Genève auraient moins de compétences que dans une commune comme Russin. C’est impensable!»
Pour l’ancien élu écologiste, qui relève que l’exemple Bâlois est d’ailleurs loin de faire l’unanimité, la proposition se trompe de cible. «Aujourd’hui, le défi consiste à rapprocher les autorités des citoyens. Si la Ville de Genève est devenue trop grande, cela pourrait valoir la peine d’avoir des entités plus petites. Et cela concerne également les autres grandes communes, comme Vernier ou Lancy. Mais une fusion ne va pas dans le bon sens», estime Robert Cramer.
Pas de quoi préconiser de «découpages» de communes pour autant. «Il s’agit simplement d’organiser différemment le territoire. Avec l’idée d’identifier un lieu de prise de décision», précise l’ex-conseiller d’Etat. Qui reconnaît rêver, dans un monde parfait, d’une Genève faite d’une myriade d’entités de 5000 habitants au plus, afin de garantir une vraie proximité entre élus et administrés.»

 

Alfonso Gomez: «C’est une tentative 
de fragiliser notre démocratie».

«Proposer de faire disparaître la Ville de Genève d’un simple article de loi n’est pas sérieux, pour de nombreuses raisons», affirme de son côté Alfonso Gomez, maire de la Ville de Genève. Pour le magistrat, une telle mesure reviendrait à retirer le droit de vote au niveau communal à 40% des citoyennes et citoyens du canton, et donc à les priver de leurs droits démocratiques. 
«La commune étant l’échelon politique qui est au plus près 
des besoins de la population, il faudrait au contraire travailler à renforcer ses compétences, d’autant qu’à Genève, celles-ci sont particulièrement faibles en comparaison d’autres cantons. Quant au système bâlois, il est bien loin de la proposition de l’UDC. Notre système politique se caractérise par la vivacité des différents échelons qui le composent et il a fait ses preuves. Je lis dans cette proposition une tentative de fragiliser notre démocratie», conclut l’élu.