Ils sont artistes? Et alors!

PRÉSIDENTIELLES • Quand le gratin de Saint-Germain-des-Prés, entre deux cocktails, signe une pétition contre la bête immonde, alors la fin du monde approche. En attendant d’autres élections. Et d’autres cocktails.

  • Le 24 avril, les électeurs français choisiront à nouveau entre Emmanuel Macron et Marine le Pen.

    Le 24 avril, les électeurs français choisiront à nouveau entre Emmanuel Macron et Marine le Pen.

Vous aimez les spécialités parisiennes? Il en est une qui devrait vous ravir: les pétitions «d’artistes», ou «d’intellectuels», à quelques jours d’une élection. On se donne quelques coups de téléphone, entre privilégiés du gratin, on tartine un manifeste, on le fait signer par une liste de stars, on y dénonce la bête immonde, le retour du fascisme, le syndrome des années trente, et il y a toujours un moment, dans le texte, où apparaît la formule «Plus jamais ça!».

Ainsi, nos élites rive gauche auront fait leur boulot, elles pourront aller siroter leur drink sur une terrasse de Saint-Germain-des-Prés, en se prenant pour Sartre ou pour Beauvoir, ou pour Juliette, ou pour Camus: le sentiment du devoir accompli. Elle est dure, la vie d’intellectuel! On le mérite, son cappuccino sur la table ronde du Flore, avec Le Monde et le Canard entre la saccharine et l’amaretto.

Chirac diabolisé en 1988

Ils nous ont fait le coup en 1988, deuxième tour. Réélection de François Mitterrand, pour sept ans. La bête immonde s’appelait Jacques Chirac, premier ministre de cohabitation sortant. Ce républicain pure souche, pétri des grandes valeurs qui ont fait la France, une sorte de rad-soc des Troisième et Quatrième République, ils ont réussi à nous le décrire comme une antichambre du fascisme en France. Ils étaient tous là, les «artistes», les «intellos», concerts à la bougie, chœurs effarouchés, «Tonton, laisse pas béton», pour ériger François Mitterrand en saint, voire en «Dieu», et diaboliser Chirac. Dieu fut réélu, le Corrézien dut attendre sept ans.

Ils nous ont refait le coup, puissance mille, lorsque Jean-Marie Le Pen s’est permis l’outrecuidance de se hisser au second tour, en 2002, à la place de Jospin, lamentable troisième. J’entends encore l’un d’entre eux, fort bon acteur au demeurant, prendre un air de gravité monastique, et oser nous sortir «Dès ce jour, nous entrons en résistance». Le ridicule ne tue pas. Tant mieux pour l’acteur: il est toujours parmi nous.

Et cette fois, c’était Chirac en face: le méchant de 1988 était devenu le sauveur de 2002. Et la vie, à Saint-Germain, continuait, tranquille, comme le cours de la Seine, immuable depuis Victor Hugo, Esmeralda et Quasimodo.

Macron-Marine n°2

Je vous passe 2017, Macron-Marine n°1, glissons à 2022, Macron-Marine n°2. Et ils sont toujours là, nos artistes, nos intellos! Pétitions dans les journaux branchés. Grandes leçons sur l’avènement des régimes autoritaires. Les fronts plissés. Les airs emplis de gravité. L’index érigé vers le ciel. Ils n’ont sans doute pas lu, pour l’écrasante majorité d’entre eux, ni Thomas Mann, ni son frère Heinrich, ni Klaus. Ils n’ont jamais étudié la République de Weimar, encore moins l’Italie de 1922.

Mais pour la leçon de morale, ils sont toujours là. Ils ont compris, mieux que le peuple français, la douceur du bien contre l’acidité du mal. Ils sont prêts à monter sur l’autel. Non pour jouer, ni pour chanter. Mais pour prêcher.