«Les peines pécuniaires faisaient rire les dealers!»

JUSTICE • Depuis 2018, les vendeurs de drogue, petits cambrioleurs et délinquants de la route sont condamnés à des peines de prison ferme plutôt qu’à des jours-amendes. Interview du procureur général Olivier Jornot.

  • Le procureur général Olivier Jornot est satisfait des modifications du Code pénal. FRANCIS HALLER

    Le procureur général Olivier Jornot est satisfait des modifications du Code pénal. FRANCIS HALLER

  • Le procureur général Olivier Jornot est satisfait des modifications du Code pénal. FRANCIS HALLER

    Le procureur général Olivier Jornot est satisfait des modifications du Code pénal. FRANCIS HALLER

«C’était carrément un cadeau offert aux dealers de rue, une forme d’impunité»

Olivier Jornot, procureur général

GHI: Depuis le début de l’année, les petits délinquants n’écopent plus, lors de l’une première infraction, d’une peine pécuniaire avec sursis mais d’une peine privative de liberté. Ce retour en prison pour les peines de moins de six mois signifie-t-il que les jours-amendes n’étaient pas dissuasifs?

Olivier Jornot: Oui, ils n’étaient absolument pas dissuasifs par exemple pour les dealers de rue ou les cambrioleurs. Ces peines pécuniaires avec sursis, qui ont remplacé les peines privatives de liberté avec sursis de moins de six mois, abolies en 2007 lors de la révision du Code pénal, faisaient bien rire ces délinquants. Les juges et procureurs devaient en effet non seulement leur annoncer qu’ils n’iraient pas en prison, mais en plus que s’ils se faisaient prendre de nouveau, ils n’iraient toujours pas derrière les barreaux mais devraient payer une somme d’argent!

– La peine pécuniaire était donc inadaptée à la criminalité?

– C’était carrément un cadeau offert à tous les délinquants de passage, à tous ceux que la menace de toucher à leur porte-monnaie ne fait ni chaud ni froid. Dans les faits, c’était une forme d’impunité, et donc d’injustice. Et en plus, le système était affreusement bureaucratique, puisque l’administration devait faire semblant de chercher à encaisser les peines pécuniaires, avant de les convertir en jours de détention…

– Est-ce la fin annoncée des jours-amendes?

– Non. Ils ne disparaîtront pas de la loi mais seront moins utilisés. Non seulement ils ne sont plus obligatoires lors d’une première sanction, mais en plus, les peines pécuniaires sont au maximum de 180 jours-amendes contre 360 auparavant. En d’autres termes, seules les infractions les moins graves pourront encore être sanctionnées par une telle peine.

– Et pour les procureurs et juges, qu’est-ce qui change?

– Désormais, pour toute infraction méritant moins de 6 mois avec sursis, les juges et procureurs peuvent choisir la sanction qu’ils estiment la plus appropriée. Si le prévenu paraît sensible à une sanction financière, notamment parce qu’il a un revenu légal et régulier en Suisse, la priorité sera donnée à une peine pécuniaire. Sinon, ce sera une peine privative de liberté.

– Ne craignez-vous pas une avalanche de recours ?

– Les condamnés pourront comme aujourd’hui former opposition aux ordonnances pénales ou faire appel des jugements s’ils s’estiment mal servis. Comme on parle de peines prononcées avec sursis, je doute que le taux d’opposition ou d’appel augmente fortement.

N’y avait-il pas aussi des inégalités de traitement, notamment avec des conducteurs délinquants?

– Il est vrai qu’il y avait de quoi râler! L’automobiliste pris en faute grave (je ne parle pas des amendes de stationnement) est passible d’une peine pécuniaire pouvant facilement représenter des milliers de francs. De son côté, le dealer écopait aussi d’une peine pécuniaire, mais comme il était sans le sou, la valeur du jour-amende était ridicule... On voyait ainsi des vendeurs de drogue condamnés à une peine pécuniaire de 300 francs avec sursis! A nouveau, le message était illisible.

– Le retour en prison pour les petits délinquants aura-t-il des conséquences sur la surpopulation de Champ-Dollon?

– Non, je ne pense pas. Si effectivement il risque d’y avoir une légère hausse du nombre des détenus, elle ne sera pas significative en regard du taux d’occupation actuel de notre prison.

– Le dealers et cambrioleurs peuvent-ils réclamer de purger leur peine avec la surveillance électronique ou de faire un travail d’intérêt général?

– La nouvelle loi va justement faciliter ces modes alternatifs d’exécution des peines. Par exemple, ils s’appliquent désormais aux peines jusqu’à une année, contre seulement 6 mois jusqu’à maintenant. Mais tous les condamnés ne sont pas concernés. Il faut un domicile en Suisse, un titre de séjour et un travail, ou à tout le moins une occupation. Les délinquants de passage, qui constituent la grande majorité de la population carcérale genevoise, ne sont donc pas concernés. Au bracelet et au travail d’intérêt général, il faut encore ajouter la semi-détention, qui concerne non seulement les courtes peines mais aussi les détenus en fin de peine. Tous ces régimes visent non seulement à réduire la population carcérale, mais aussi à favoriser la réinsertion.