Séparation définitive

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Je couvre la politique, comme journaliste, depuis trente-cinq ans. Les politiciens, de tous bords, je les connais, je les fréquente. Il faut savoir parler avec eux, prendre le temps de bavarder, de choses et d’autres: il pourra toujours en sortir une piste, une information. Un journaliste, au fond, c’est un officier de renseignements, qui doit réunir le maximum de données sur un terrain, un théâtre d’opérations.

J’ai longtemps bu des verres avec les politiques, je ne le fais plus depuis de longues années. Non que je les boude, mais tout simplement… je ne bois plus le moindre verre! Sauf le soir, en mangeant. Bref, un journaliste doit fréquenter les politiques, sans pour autant confondre sa cause avec la leur.

Et puis, un jour, il arrive que le politique, ce vieux compagnon de route du journaliste quand il était dans la conquête du pouvoir, finisse par y arriver, au pouvoir! Il s’en va siéger dans un exécutif. Fédéral, cantonal, municipal: j’ai connu tous ces cas de figure. Et là, désolé de le dire, mais c’est le début de la fin.

Entre les deux personnages, il y a quelque chose de cassé. L’heureux élu vit sa vie de ministre, s’entend comme il le peut avec ses collègues, gère autour de lui la cohorte des courtisans. Il ruse, dissimule, calcule: cela s’appelle l’exercice du pouvoir. Et l’autre, le journaliste, vit sa vie à lui. Ailleurs. Au milieu des mots. Avec sa plume, sa voix, ses passions. Entre les deux hommes, est passée une séparation définitive, irrémédiable. C’est l’effet du pouvoir. Et c’est ainsi.