Ecoutons la voix du peuple

ÉLECTIONS EUROPÉENNES • C’est partout la même chose, à Genève comme à l’échelon européen: on consulte les peuples, et, dès qu’ils se sont prononcés, on s’empresse d’ignorer leur message. Apprendre à les écouter, c’est ce qui manque le plus.

  • Les peuples des vingt-huit pays de l’Union européenne ont parlé. DR

    Les peuples des vingt-huit pays de l’Union européenne ont parlé. DR

«Le peuple n’a pas toujours raison mais il est souverain»

Pascal Décaillet

Dans les vingt-huit pays membres de l’Union européenne, les peuples ont parlé. Ils ont élu leurs députés au Parlement de Strasbourg, ce qui entre nous n’est pas très important, vu le pouvoir dont jouit cette instance. Surtout, ils ont donné, pays par pays, des signaux de politique intérieure: la politique, l’émotion citoyenne, la reconnaissance en des leaders, la lisibilité des thèmes, tout cela s’exerce aujourd’hui à l’échelon des différentes nations. Celui de l’Union européenne, comme d’ailleurs en général certaines grandes mythologies supranationales, n’est que fiction de technocratie. Au mieux, on y aiguise des structures, on y huile des machines à Tinguely. Au pire, et nous n’en sommes pas loin, on y tourne à vide, faute de légitimité, de crédit citoyen.

Prendre acte du message

A tous les échelons où l’on appelle aux urnes un corps électoral, celui du canton de Genève quand il vote sur des parkings en France voisine, celui de toute la Suisse pour se prononcer sur des avions de combat, celui de vingt-huit pays pour élire des eurodéputés, la première chose à faire est d’écouter la voix des peuples. Prendre acte du message. En Suisse, nous avons l’habitude: chacun d’entre nous, lors d’un même dimanche de votations, se partage entre joie et tristesse, en fonction du mélange des scrutins. Nous, Suisses, sommes habitués à perdre. Pour ma part, c’est sans aucun plaisir que j’ai pris acte, par exemple, de la décision sur les minarets, sur le Gripen, ou même sur la Marche Blanche. Mais c’est le jeu, il faut l’accepter. Le peuple n’a pas toujours raison, mais il décide, il est le souverain.

Renversement historique

En France, pour la première fois depuis la Libération, la droite dite extrême l’emporte – et de plusieurs points – sur la coalition de toutes les autres droites. Jamais cela n’est arrivé, ni sous la Quatrième, ni sous la Cinquième République. A l’époque du général de Gaulle, qui les avait génialement contenus alors qu’ils voulaient physiquement le liquider, ces gens-là rasaient les murs. C’est que la République, tout en haut, était incarnée par quelque chose de grand, ce qui semble – demeurons polis – un peu moins le cas aujourd’hui. Alors, voilà la France avec un renversement majeur des équilibres au sein de ses familles de droite, c’est cela qui est historique, ce message-là que le pays doit interpréter.

Un modèle qui fait rêver

Mais pour cela, il faut écouter la voix des peuples. A Genève, si un signal de défiance est donné à un vaste mirage transfrontalier sécrété d’en haut, le moins serait peut-être d’en prendre acte. Et non d’annoncer que ce «vote de repli» (quelle insupportable expression) n’empêchera pas la construction du Grand Genève. En clair, on continue de faire comme on veut, en bouchant ses oreilles. En Europe, si les mouvements hostiles à l’Union dans sa forme actuelle marquent des points comme ils l’ont fait dimanche, on ne se précipite pas à déclarer que la construction européenne est inéluctable, et se fera de toute façon comme on a dit. Parce que dans ces conditions, autant ne jamais consulter les peuples, décider tout seul d’en haut. De temps en temps, comme chez Plutarque, on abat le tyran, et la vie continue. C’est ce modèle, citoyennes et citoyens, qui vous fait vraiment rêver?