L’éloge des fuites

INFORMATION • Les fuites? Mais c’est une bénédiction! Félicitons-nous, citoyens, que puissent sortir, et être communiquées à tous, des informations d’intérêt public que le pouvoir cherche à nous cacher. Car il cherche toujours à dissimuler ce qui gêne son image! Alors oui, rendons hommage aux fuites: elles sont une soupape de la démocratie.

La législature qui se termine (2009-2013) aura été, à Genève, celle des fuites tous azimuts. Jamais le pouvoir n’a autant cherché à retenir des informations, jamais autant n’ont pris la fuite! Conseil d’Etat, Grand Conseil, Mairie de Genève, législatifs et exécutifs communaux, grandes régies, fonction publique: Genève est devenue une immense passoire, l’information fuse, elle s’échappe de tous les côtés. Et au fond voyez-vous, c’est plutôt en démocratie une très bonne nouvelle. Car dans l’immense majorité des cas, la prétendue exigence de confidentialité n’est qu’une invention de ceux qui accèdent à l’information pour se gonfler d’importance. Il est donc sain que les choses sortent. A condition – et c’est primordial – qu’elles soient d’intérêt public. La vie privée des gens, c’est en tout cas mon credo absolu, leur appartient et n’a en aucun cas à être abordée. En revanche, tout ce qui touche à l’intérêt supérieur de la Cité doit être connu des citoyens, il n’y pas de raisons (sauf cas extrêmes) de leur en confisquer la connaissance.

Plainte contre un tract électoral

La toute dernière affaire en date ne manque pas de sel. Ultime acte de législature, révélé lundi 4 novembre par l’Agence Decaprod: le Bureau du Grand Conseil porte plainte contre deux conseillers municipaux de la Commune d’Avusy qui auraient, dans un tract électoral local, révélé le détail d’un vote à la Commission de l’Aménagement du Grand Conseil. Pour que soit sanctionné ce crime abominable, le président du Parlement lui-même, Gabriel Barrillier, se fend d’une lettre de cinq pages, datée du 29 octobre, au procureur général, Olivier Jornot. Le premier personnage du législatif cantonal écrit une longue lettre au premier personnage du Parquet, parce qu’un tract en Avusy donnait la «physionomie» du vote d’une commission!

Donner une leçon

Pourquoi diable déposer plainte sur cet objet précis, alors que la législature aura été celle de toutes les fuites, la plupart d’ailleurs bien plus importantes que la péripétie d’Avusy? Réponse: pour donner une leçon. Faire un exemple. Toujours est-il que sans les «fuites», innombrables seraient les scandales de notre République qui n’auraient jamais été portés à la connaissance des citoyens. Services industriels, autres grandes régies, audit sur le Service des contraventions, déménagement de la Cour des Comptes, capharnaüm dans le domaine de détention, informations d’intérêt public et citoyen sur les travaux des commissions, couacs de la Chancellerie, fronde des directeurs de Collèges contre le DIP, psychodrames internes à la Cour des Comptes, la liste complète prendrait des pages.

Tous les exemples donnés ici sont d’intérêt public. Jamais de vie privée, jamais de ragots, mais des dysfonctionnements, souvent graves, dans la gestion de l’Etat, donc de notre argent de contribuables.

Pouvoir

Le pouvoir essaye de nous les cacher. Nous journalistes, et notamment dans ce journal, nous vous les dévoilons. Or, sans les fuites, sans ces informations qui nous parviennent confidentiellement, elles seraient demeurées à jamais dans les oubliettes. A côté de cet impératif de transparence, au service des citoyens, les gesticulations de procédures au nom de la «confidentialité» ne pèsent que d’un poids très relatif. Il faut juste savoir si on entend servir la transparence, ou juste la coterie des puissants.