Au centre de tout, l’être humain

éCONOMIE • A quoi, au fond, doit servir le travail? A quoi, si ce n’est à améliorer la condition des hommes et des femmes? Hors de cet affranchissement, point de salut. L’économie spéculative, c’est la mort de l’âme.

  • Nous devons œuvrer à l’amélioration de la condition de tous. 123RF/WAVEBREAK MEDIA LTD

    Nous devons œuvrer à l’amélioration de la condition de tous. 123RF/WAVEBREAK MEDIA LTD

Toute ma vie, j’ai plaidé pour une économie au service de l’humain. Une agriculture, une industrie, des forces de production, pour améliorer la vie des hommes et des femmes de cette terre, alléger leur fardeau, leur donner du temps pour tisser des liens sociaux, s’instruire, s’épanouir. Travailler, oui, et même beaucoup, cela fut toujours mon credo, et le demeure. Mais travailler, pour œuvrer, à petits pas, à une humanité meilleure.

Concurrence effrénée

Parce que l’inverse, l’humain au service de l’économie, l’homme ou la femme comme simple rouage d’une mécanique de profit, ce modèle, hélas omniprésent, n’est absolument pas le mien. Pas plus que celui de la spéculation, celle par exemple sur les marchandises, ou les denrées alimentaires, ou les produits de première nécessité. Il y a des domaines, comme l’agriculture, qui doivent impérativement échapper à la férocité de la mise en concurrence planétaire. Parce qu’ils nous sont matriciels.

Remarquablement plaidée, en quelques mots simples et brefs, par le jeune vert Valentin Dujoux, 24 ans, en direct le dimanche 13 mai sur le plateau du Grand Genève à Chaud, lors d’un débat de jeunes militants, cette primauté de l’humain est un vieux rêve, récurrent, au moins depuis la Révolution industrielle. Il stipule que le travail doit affranchir l’homme, le libérer de ses entraves, lui permettre, à lui et aux siens, de vivre mieux. Et que le travailleur, même passionné par son métier, ne doit jamais oublier que son activité de production n’a de sens collectif que si elle s’inscrit dans une amélioration de la condition de tous. A cet égard, l’hommage le plus vibrant doit être rendu, dès l’école, non aux puissants de la terre, mais justement aux plus humbles serviteurs. Ceux qui, tout simplement, nous sont utiles.

Responsabilité sociale

L’économie au service de l’humain, c’est le propos d’un texte absolument éblouissant, publié en 1891 par Léon XIII, qui a exercé entre 1878 et 1903 une fonction assez particulière, celle de pape. Le texte s’appelle Rerum Novarum, qu’on pourrait traduire par De la modernité, et il tente, au plus fort de la Révolution industrielle, alors que des enfants travaillent encore dans des mines, de donner une réponse non marxiste (cette dernière était déjà bien présente sur le marché des idées) à la précarité de la condition ouvrière. Ce texte, vieux de cent vingt-sept ans, n’a pas pris la moindre ride. Il appelle les patrons à leur responsabilité sociale, définit le travail comme mode d’affranchissement et non comme servitude. Il y a certes un peu de Marx dans ces lignes, mais s’y ajoute une note de chaleur latine, autour de la famille et des communautés humaines, qui transcende la dialectique matérialiste du grand penseur rhénan dont nous fêtons le bicentenaire de la naissance. Ce texte, pour moi, demeure, parmi d’autres, une référence.

Interrogation mutuelle

Une chose est sûre: dans la très grande solitude métaphysique qui, peut-être, serait nôtre, demeure, entre humains, la richesse de l’échange et de l’interrogation mutuelle.

Sans humanisme, point de politique. Cette valeur, centrale, doit guider nos actions, au-delà de nos appartenances, ou de nos idéologies.